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Accueillir la différence, le handicap

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Type : Réflexion
Thème : Santé & Psychologie
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 93  
Publié sur Lueur le
En 1964, à Trosly-Breuil, France, Jean Vanier fonde l'Arche (www.arche-france.org), une communauté pour et avec des personnes ayant un handicap mental. À partir de cette première communauté, d'autres sont nées sur tous les continents. En 2007 il y avait 103.

Beaucoup d'hommes et de femmes sont marqués d'un handicap depuis leur naissance ou à la suite d'une maladie ou d'un accident. Ils ne voient pas, n'entendent pas ou ne peuvent pas marcher ; ils ont des troubles psychologiques ou des déficiences intellectuelles et souvent des difficultés relationnelles. Toutes ces limites ou handicaps rendent difficile, parfois impossible, la vie en famille, à l'école et au travail.

Souvent nous identifions la personne à son handicap.

Nous la considérons comme "différente", parfois même "inutile", "sans valeur" et, dans certains cas, pas comme un être humain à part entière. Ce n'est pas étonnant que souvent ces personnes se ferment dans des attitudes de colère, de tristesse, de dépression, de manque de confiance en elles, de refus de communiquer. Le regard des autres semble les condamner.

Nos sociétés d'abondance semblent faites pour les gens forts, capables, ceux qui sont beaux ou efficaces. Les bâtiments, par exemple, sont souvent difficiles d'accès pour les personnes en fauteuil roulant. Certes, il y a une prise de conscience de ces questions et des progrès ont été faits. On a créé des écoles spécialisées pour des personnes ayant un handicap physique ou intellectuel; on a mis en place des formations et aménagé des postes de travail pour des personnes ayant certains handicaps. L'Assemblé Nationale a voté des lois anti-discriminatoires à leur égard. Oui, il y a eu du progrès mais il reste encore beaucoup à faire.

Depuis plus de 42 ans, je partage ma vie avec des hommes et des femmes marqués par un handicap mental. Beaucoup sont venus d'asiles ou d'hôpitaux psychiatriques où ils avaient été placés parce qu'ils n'arrivaient pas à se débrouiller seuls et ne pouvaient plus demeurer chez leurs parents. Sans formation, sans travail, ils s'étaient enfermés dans une image blessée d'eux-mêmes, sentant qu'il n'y avait pas de place pour eux sur cette terre.

Comme chacun de nous cependant, ces hommes et ces femmes ont un coeur vulnérable. Ils ont besoin de se sentir aimés et appréciés. Ils ont soif d'amitié. Leur personne profonde ne s'identifie pas à leur handicap, leurs limites ou leurs difficultés. C'est pour cela que l'essentiel de la pédagogie de l'Arche est d'accueillir chacun tel qu'il est. Chaque personne est importante quelles que soient ses origines, ses capacités ou ses limites, sa culture ou sa religion; chaque personne a une valeur et quelque chose d'unique à donner. Chacune a besoin d'aide pour pouvoir grandir, se développer, être plus heureuse et épanouie.

Parmi eux Jeannine et Éric...

Jeannine a été placée dans notre communauté à l'âge de 40 ans. Elle avait eu une hémiplégie, qui l'avait laissée paralysée d'un côté et elle était épileptique Elle portait en elle une énorme colère, je dirais même une rage. Elle ne voulait pas vivre à l'Arche ; elle aurait voulu se marier, fonder une famille comme ses soeurs, mais cela n'était pas possible. Sa rage l'amenait à hurler et à casser; elle manifestait ainsi son refus d'être avec nous.

Avec notre psychiatre, nous avons essayé de comprendre la source de sa colère, de sa violence et de répondre à ses besoins. Il nous a fallu l'écouter, prendre du temps avec elle, l'aider à se sentir mieux, à réaliser qu'on la considérait comme importante, qu'elle était quelqu'un. Peu à peu, elle a trouvé une vraie paix. Elle n'aimait pas tellement travailler dans les ateliers mais elle aimait la fête, elle aimait chanter et danser. Un jour elle a demandé le baptême. Elle avait vécu une véritable rencontre avec Jésus et découvert l'Évangile. Peu à peu elle est devenue une femme paisible et heureuse; elle a trouvé un sens à sa vie, une place sur la terre.

Nous avons aussi accueilli Éric, que nous avions rencontré dans le pavillon des enfants, à l'hôpital psychiatrique. Il avait seize ans. Éric portait non seulement un handicap mental très lourd mais il était aussi aveugle, sourd et ne marchait pas. Je crois que je n'avais jamais rencontré un jeune aussi angoissé. En l'accueillant, notre désir était de l'aider à devenir plus paisible et à découvrir qu'il était aimé. Cela a pris du temps et s'est fait à travers une vie relationnelle intense dans le quotidien: les repas, les bains, les petites activités, les promenades; ses angoisses ont partiellement disparu. Il a pris goût à la vie, jusqu'à sa mort quelques années plus tard.

Chaque personne portant un handicap a besoin d'un milieu de vie adapté à ses besoins, où elle se sente respectée, aimée, "chez elle". Chacune a besoin aussi d'une éducation ou d'une formation adaptée, pour pouvoir accéder selon ses capacités à une vie plus indépendante, une vie de travail dans des ateliers protégés ou dans le monde du travail. Tout cela demande que l'État s'intéresse à elles et crée des écoles et des lieux de vie adaptés. Cela demande aussi que les citoyens changent de regard, les voient comme des personnes à part entière qui ont besoin d'être accueillies, respectées et appréciées.

Une société se révèle vraiment humaine par la façon dont elle est ouverte aux plus faibles, que ce soit des personnes marquées par un handicap, par la maladie ou la vieillesse. Être humain, ce n'est pas simplement être performant, gagner de l'argent, être libre mais c'est avoir le souci du bien-être des autres, surtout de ceux et celles qui ne peuvent se débrouiller tout seuls.

Les chrétiens sont appelés d'une façon spéciale à s'ouvrir aux plus faibles

Jésus n'avait-il pas un amour et un souci pour les plus pauvres, pas seulement économiques mais pauvres du fait de la maladie, de l'âge, du handicap, du manque de travail, de l'exclusion? L'évangile de Luc (Luc 14) nous rapporte deux événements significatifs: la parabole du repas de fête offert par le maître qui invite les gens «bien» de la ville. Mais tous refusent, s'excusant à cause de leur travail, de leurs préoccupations ou de leurs projets à court terme. Le coeur du maître est blessé par ces refus. Il demande alors à ses serviteurs d'aller dans les rues et d'inviter les pauvres, les estropiés, les infirmes et les aveugles qui arrivent en courant. Ils ont du temps, eux! Jésus invite les pauvres, les marginaux au repas de l'amour.

Dans le même chapitre, Jésus propose aux gens riches lorsqu'ils donnent un très bon repas, un festin, d'inviter à leur table non pas leur famille ni leurs riches voisins, mais des pauvres, des estropiés, des infirmes et des aveugles. Et il ajoute: Alors vous serez heureux, bénis de Dieu. Jésus désire l'unité entre tous les êtres humains ; il souffre quand, à cause de nos égoïsmes et nos peurs, nous excluons et marginalisons certains. Pour Jésus, chaque personne est importante, sacrée et aimée de son Père. Et il affirme dans l'évangile de Mathieu (Mt 25) que nous serons jugés à la fin de notre vie sur notre amour des pauvres: Tout ce que vous avez fait aux plus petits de mes frères c'est à moi que vous l'avez fait (Mt 25). C'est bien pour cela qu'inviter à notre table des gens pauvres et dans le besoin est une source de joie et de grâce, car en les accueillant nous accueillons Jésus lui-même.

Par le don de l'Esprit Saint, Jésus veut changer les coeurs de pierre de ses disciples en coeurs de chair. Il veut nous aider à sortir de nos peurs et de notre égoïsme pour faire de nos familles, de nos communautés paroissiales, des lieux d'accueil pour ceux qui sont en difficulté. Alors nous serons heureux, bénis de Dieu.

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