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Martin Luther King, pacifiste
4. Les études de Martin Luther King

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Type : Dossier
Thème : Personnalités protestantes
Source : Lueur   
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Comment Martin Luther King est-il devenu pacifiste?
  2. Les parents de Martin Luther King
  3. Les études de Martin Luther King
  4. Comment passer à la non-violence ?
  5. Martin Luther King et la doctrine de Dieu

L'aversion que Martin ressent envers les blancs depuis l'épisode de son entrée à l'école grandit encore davantage à une autre occasion où il lui faut affronter une humiliation difficile à gérer psychologiquement pour un jeune qui sent plus ou moins confusément qu'il est intelligent et capable, et sans doute beaucoup plus que pas mal de blancs de sa connaissance.

Depuis toujours Martin est un enfant précoce. En primaire, il saute plusieurs classes, et il réussit sans trop se fatiguer quand les matières enseignées ne le passionnent pas trop. Quand elles le passionnent, il est en tête de la classe malgré son jeune âge. Apprendre est chose aisée pour lui, et, fasciné par la magie des mots, il acquiert un vocabulaire riche et varié. Au lycée, il en est de même, et il y finit son cursus secondaire en moins de deux, ce qui fait qu'il a tout juste quinze ans lorsqu'en 1944 il est accepté à l'Université Morehouse d'Atlanta. Martin a une bonne élocution. Il sait ordonner ses idées, et les présenter de manière on ne peut plus convaincante. Il est clair qu'il est un orateur-né. C'est pourquoi il décide tout d'abord de devenir avocat. Un jour, il gagne même un concours d'éloquence pour lequel il doit prendre le car afin de se rendre dans une autre ville, en compagnie de Mrs Bradley, un de ses professeurs. Tout heureux de son succès, et gonflé de sa propre importance, le jeune Martin tombe de haut sur le chemin du retour lorsqu'un blanc l'interpelle et exige qu'il lui laisse sa place. C'est la loi, et Martin doit s'y résoudre, faisant mauvaise fortune bon coeur, et découvrant ainsi très vite que sa renommée est encore bien limitée, et son importance personnelle toute relative. Son professeur et lui doivent ainsi faire les 130 km du voyage debout. Sur le moment, Martin ressent cet épisode de son existence comme une provocation et une humiliation cuisantes. "Je n'ai jamais été plus furibond de toute ma vie", dira-t-il plus tard, en repensant à cet épisode de sa jeunesse (9). Il le verra alors en effet comme une étape nécessaire pour sa prise de conscience personnelle de ce qu'il fallait absolument changer dans la société de son temps.

Université de Morehouse

En 1944, Martin a donc seulement quinze ans lorsqu'il intègre l'Université Morehouse à Atlanta. Bien qu'étant une institution réservée aux noirs, c'est cependant une université reconnue au plan national pour son haut niveau intellectuel, et où enseignent des professeurs de qualité. L'un d'entre eux, en particulier, a une influence non négligeable sur le jeune Martin. C'est le Recteur même de l'Université, Benjamin Mays. Cet homme érudit qui a beaucoup voyagé, mentionne fréquemment l'histoire de Gandhi dans ses cours. Et il parle avec une grande force de conviction du combat pour la liberté que le Mahatma mène en Inde. Il s'est d'ailleurs lui-même rendu là-bas en 1936, et il en est revenu terriblement impressionné par tout ce qu'il y a vu et entendu.

George Kelsey, le responsable du Département Religion, ainsi que Samuel Williams, le professeur de Philosophie, ont aussi un énorme impact sur King. Pour ce dernier, il est important de voir des professeurs noirs, titulaires d'un doctorat, et en même temps chrétiens convaincus. Cela le change de tous ces prédicateurs des "églises noires" qu'il a rencontrés jusqu'ici et qui soit se sont formés sur le tas, soit ont essayé de faire des études tout en travaillant, ce qui n'est pas évident. Ces trois hommes, Benjamin Mays, George Kelsey et Samuel Williams, véritables "géants intellectuels noirs", seront sans aucun doute des pères spirituels pour King, et des guides pour son cheminement intellectuel (10).

Pendant les vacances d'été, Martin tente de s'insérer dans la société au sens large, et de se mettre au niveau des plus petits du monde dans lequel il évolue. Pour ce faire, et ce contre l'avis de son père pour qui cela constitue une déchéance, il exerce différents "petits boulots" manuels. C'est assez mal payé, mais cela lui permet de s'acheter ce dont il a besoin pour ses études sans dépendre de ses parents. De plus, cela lui permet de voir ce que vivent les autres noirs qui n'ont pas, eux, la chance de faire des études. Un été, King fait une expérience qui le marquera longtemps. Avec des amis, noirs eux aussi, il va travailler dans l'Etat du Connecticut, c'est-à-dire dans le nord du pays. Il travaille dans des champs de tabac sous un soleil de plomb. Ils sont tous bien traités. A l'église, le dimanche, ils sont les seuls noirs, et cela ne semble gêner personne. Ils vont prendre leurs repas dans le restaurant de leur choix sans qu'on leur dise quoi que ce soit. Quelle différence avec le sud où il lui faut bien retourner ensuite, et retrouver la ségrégation! Un autre été, il charge et décharge avec patience des trains de marchandise alors qu'il fait une chaleur torride. Lorsqu'un blanc le traite de "nègre", il laisse tomber son travail sur-le-champ. Par la suite, il se rend compte qu'à travail égal, les blancs gagnent davantage que les noirs, et cela le rend furieux.

Mais, petit à petit, King se rend compte que le système en vigueur est tel que pour que ces choses-là changent, il faut d'abord faire évoluer le système. Et maintenant qu'il a réalisé cela, son ressentiment envers les blancs en devient moins virulent. Il transforme ce ressentiment en désir d'agir pour changer le monde dans lequel il vit. Cette expérience dans le monde du travail aide beaucoup Martin à évoluer, et, de retour à l'université, après l'été, il s'engage dans le Conseil Inter-universités d'Atlanta. C'est un groupe interracial composé d'étudiants venant de divers horizons. Par ces contacts avec d'autres, il apprend que le dialogue et une bonne volonté de part et d'autre peuvent permettre d'amoindrir l'hostilité raciale ambiante. Peut-être après tout, serait-il possible de travailler ensemble, entre noirs et blancs? commence-t-il à se demander.

Pendant les cours, les professeurs suscitent des discussions sur les problèmes raciaux de la société, et encouragent les étudiants à y chercher des solutions concrètes. Pour King, ces séances sont extrêmement utiles, et, dira-t-il plus tard, "pour la première fois de ma vie, j'ai réalisé que personne n'avait peur" d'en parler (11). Cela lui donne aussi envie de faire quelque chose, et de se lancer en quelque sorte au coeur de la bataille pour l'émancipation des noirs de son pays.

Martin Luther King est profondément marqué par ces conférences ainsi que par toutes les lectures qu'il lui est conseillé de faire. Il se penche notamment sur le traité de "Désobéissance civile" de David Thoreau, qui a une influence indéniable sur lui, même s'il ne réalise pas encore quel est le potentiel d'une telle méthode. N'oublions pas qu'il n'est encore qu'un adolescent! Et pourtant Martin ressent au plus profond de lui-même, et depuis longtemps, une soif inextinguible de justice. Il voudrait aider son pays à se guérir de cette gangrène qu'est la ségrégation. Il aspire à briser les liens des membres de la communauté noire américaine, à les libérer d'une manière ou d'une autre. Et il cherche désespérément comment il pourrait y contribuer concrètement.

Petit à petit, sans s'en rendre compte au départ, il change. Et, au bout d'un long cheminement intérieur, il se résout à consacrer sa vie à Dieu et à se préparer au ministère pastoral. Il a en effet compris que, tout en étant pasteur, il peut aussi avoir une action sur le plan social, et pas seulement au niveau local. C'est un tournant majeur de son existence. Car Martin est conscient que, pour ce faire, il lui faut une formation adéquate. C'est ainsi qu'après son premier cycle d'études universitaires, il commence un cursus théologique à la Faculté de Théologie de Crozer, à Chester en Pennsylvanie.

Crozer

King part à Crozer animé par une grande quête intellectuelle et spirituelle, celle de trouver un moyen de combattre, voire éliminer ce qu'il appelle "le mal collectif" (12). C'est là qu'il se familiarise avec "l'Evangile Social" de Walter Rauschenbush. Il est aussi marqué par les écrits de Reinhold Niebuhr, et par la théologie de George W.Davis. En effet, si la Faculté de Crozer marque un tournant dans le développement intellectuel de King, c'est surtout grâce au professeur Davis dont l'impact sur lui fut énorme.

Rapidement, on peut résumer les convictions de ce théologien baptiste en cinq thèmes principaux:

  1. Il y a un ordre moral qui sous-tend l'univers
  2. Dieu agit dans l'Histoire
  3. La valeur de la personne
  4. Le caractère social de l'existence humaine
  5. et la nature éthique de la foi chrétienne...

Un jour, King a l'occasion d'entendre une conférence sur le pacifisme par A.J.Muste, du Mouvement pour la Réconciliation, qui le touche profondément, sans toutefois le convaincre qu'il soit possible de mettre concrètement cette théorie en pratique dans la vie quotidienne.

Tout en reconnaissant que les conflits armés ont un rôle essentiellement destructeur, Martin Luther King se demande si leur aspect dissuasif ne peut pas tout de même avoir une raison d'être. La guerre ne peut-elle pas constituer en quelque sorte un mal nécessaire qui permettra de combattre puissamment l'expansion du mal?, se demande-t-il. Après tout, ne vaut-il pas mieux faire la guerre que de subir de manière passive les exploitations que représentent les totalitarismes de type nazi ou communiste? Il a lu Karl Marx. Et il se pose la question de savoir si la raison de l'impact du communisme sur le monde ne vient pas de ce que le Christianisme n'a pas réussi à être assez conséquent avec lui-même, ne mettant pas assez en pratique l'enseignement de Jésus.

C'est aussi à cette époque-là que King se met en demeure de lire Nietzsche qui le stimule intellectuellement, mais le déprime aussi quelque peu. Et il se demande si le philosophe n'a pas en partie raison quand il parle des faiblesses de l'amour chrétien. Cet amour peut-il vraiment changer le monde, le purifier de tout le mal qui l'infecte en profondeur? Martin s'interroge. Et "il lui semble que les injonctions chrétiennes "d'aimer ses ennemis", et "de tendre l'autre joue" ne peuvent marcher que dans le cadre des relations entre individus, et non pas dans le cas de conflits entre nations ou entre groupes raciaux. Pour de tels conflits", pense-t-il, il faut avoir une approche plus réaliste - tout en ne sachant pas vraiment ce que cela implique" (13).

Martin est donc en pleine réflexion sur ces sujets vitaux pour lui, et pour la communauté noire de son pays, quand il entend un sermon qui constituera pour lui une illumination. Cette prédication puissante d'un certain Mordecai Johnson, le Recteur d'une autre Université, a pour base les principes pacifistes de Gandhi. Martin est fasciné par les principes qui viennent d'être exposés. Entier comme il est, il décide d'en apprendre davantage sur le sujet. Il ne fait ni une ni deux, et il se précipite à la librairie pour y acheter tous les livres qu'il peut trouver sur le Mahatma. Et il se plonge avec passion dans la lecture de tous ces ouvrages. Il est particulièrement fasciné par le fait que Gandhi ait choisi la non-violence en partie pour tenter de dompter ses propres tendances à la violence. Pourrait-il en être de même pour lui, Martin?

A la même époque, un évènement de sa vie aura un impact indéniable sur le comportement de ses condisciples à son égard. Un étudiant originaire de Caroline du Nord déboule un jour dans sa chambre après avoir violemment tambouriné à la porte. Cet étudiant est blanc et il est bien connu dans l'université pour ses idées racistes. Il est furieux de ce que cette université ait été ouverte aux noirs qu'il traite avec mépris de "noirauds". En effet, contrairement à l'université de Morehouse qui était réservée aux noirs, et dont tous les professeurs étaient noirs, la Faculté de Théologie de Crozer est fréquentée majoritairement par des blancs. Tous les professeurs sont blancs, et Martin Luther King est un des rares étudiants noirs qui y ait été accepté. Ils ne sont en effet que 11 sur toute la faculté. Cet étudiant débarque donc un jour dans la chambre de King en hurlant et en l'accusant d'avoir saccagé sa chambre. Sa chambre est dans un piteux état, c'est vrai, mais King n'est pas responsable de ce qui s'est passé. Le jeune homme est hors de lui, et il sort un pistolet avec lequel il vise Martin à la tête tout en continuant de l'invectiver, et en le menaçant de l'exécuter sur-le-champ. Martin ne perd pas son sang-froid. Il regarde son interlocuteur droit dans les yeux avec une parfaite maîtrise de soi, tout en déclarant d'une voix calme qu'il n'a absolument rien à voir avec le saccage de sa chambre. Mais les hurlements de l'autre ont fini par alerter toute la chambrée. D'autres étudiants arrivent qui désarment le forcené. Martin est resté calme jusqu'au bout, sans jamais hausser le ton. Par la suite, à la surprise de tous, il refusera de porter plainte contre son adversaire d'un jour, qui finira par s'excuser publiquement de ses accusations gratuites et avec qui il liera plus tard des liens d'amitié.

Cet épisode qui aurait pu tourner au tragique fera de Martin un des étudiants les plus populaires de l'université, et beaucoup de ses condisciples l'admireront à la fois pour sa capacité de contrôler ses émotions, aussi bien que pour ses résultats académiques exceptionnels. En effet, Martin excelle si bien dans ses études par la suite qu'en juin 1951, il termine premier de sa promotion, et reçoit ainsi une importante bourse qui doit lui permettre de poursuivre plus avant ses études universitaires dans l'établissement de son choix. La philosophie personnaliste d'Edgar S.Brightman qu'il a étudiée a eu un tel impact sur lui qu'il veut en savoir davantage sur ce sujet. C'est pourquoi il donne sa candidature à la Faculté de Théologie même où Brightman enseigne, à Boston. C'est une université prestigieuse où ne sont acceptés, en général, que d'excellents étudiants. King y commence ses études de doctorat, tout en prêchant de temps en temps dans son église d'Atlanta où il retourne fréquemment.

C'est au cours de son séjour à Boston qu'il fait la connaissance d'une étudiante en musicologie, Coretta Scott, qui est originaire d'Alabama et qu'il épousera en 1953.

Ses études à Boston remettent King en contact avec les notions de pacifisme et de non-violence, et lui permettent d'approfondir sa réflexion sur le Christianisme Social, d'autant plus que la plupart de ses professeurs sont pacifistes. Encore et toujours, il revient à Gandhi dont l'enseignement et la vie lui semblent avoir une force indéniable. Le pacifisme de Gandhi, remarque King, c'est faire courageusement face au mal, en lui opposant la puissance de l'amour, en étant persuadé qu'il vaut mieux subir la violence que de l'infliger à autrui.

Tout cela fait son chemin en lui, lentement mais sûrement. Et, petit à petit, King en arrive à rejeter totalement la notion de guerre. Il se dit que maintenant que l'Union Soviétique et les Etats-Unis ont tous deux la bombe atomique, la guerre ne peut plus être un mal nécessaire pour avancer sur le chemin de la paix. Elle ne peut plus être qu'une catastrophe majeure pour toute l'humanité. La notion de guerre est dépassée à présent. L'être humain doit y trouver une alternative qui tienne la route.


9 Autobiographie, p.28
10 cf.Wiliam D.Watley, Roots of Resistance, The Nonviolent Ethic of Martin Luther King, Judson Press, Valey Forge, 1985, p.18
11 Oates, op.cit., p.21
12 "social evil"
13 S.B.Oates, op.cit., p.31

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