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L'euthanasie
2. L'euthanasie, un vrai débat

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Questions de Société
Source : Construire Ensemble   
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. L'euthanasie, un vrai débat
  2. Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie...

Euthanasie : écouter et réfléchir

Le problème de l'euthanasie défraie régulièrement l'actualité. On songe à l'instruction en cours de l'affaire Malèvre, cette infirmière de Mantes La Jolie qui après avoir reconnu une trentaine de cas d'euthanasie nie tout en bloc, ou à telle clinique où l'on soupçonne un médecin d'avoir obligé les infirmières à administrer un cocktail mortel. Le débat a aussi été relancé par la plus haute instance éthique nationale le CCNE qui propose d'introduire dans la procédure pénale une " exception d'euthanasie " (voir la déclaration de la commission d'éthique libro-baptiste ). L'opinion est majoritairement favorable à l'euthanasie mais ce sont des bien-portants qui répondent aux sondages ! Les médecins eux, qui n'ont aucune envie de se transformer en exécuteurs, y sont majoritairement opposés. Sur le sujet il n'y a guère de neutralité possible : il y a opposition de principe entre ceux qui érigent la liberté de l'individu en norme suprême et ceux qui font du respect de la vie un devoir sacré. Mais l'histoire personnelle joue aussi souvent un grand rôle : quand on a vu tel proche souffrir entre les mains des médecins on ne réagit pas de la même manière, et ce n'est pas un hasard si l'un des militants les plus connus de l'euthanasie, Léon Schwartzenberg, est un cancérologue. Dans ce débat il faut donc prendre en compte l'arrière-plan et écouter tout en essayant de faire admettre la différence de niveau entre l'expérience personnelle et la loi qui doit édicter des règles générales valables pour tous.

A l'origine : les progrès de la science et leurs limites

Au XVIIème siècle le philosophe anglais Francis Bacon présente une revendication nouvelle : il demande aux médecinx de ne plus abandonner l'agonisant mais de lui apporter son secours pour qu'il puisse " s'éteindre l'heure venue d'une manière douce et paisible ". Bacon utilise le mot " euthanasie " pour qualifier cet adoucissement des derniers instants dans un sens proche donc de " soins palliatifs ". C'est seulement à la fin du XIXe que le mot change de sens et en vient à désigner l'acte de mettre fin délibérément à la vie du malade. Ce n'est certainement pas un hasard si ce changement sémantique survient après des progrès considérables de la médecine qui accroît l'espérance de vie mais crée de nouveaux problèmes. La science médicale va pouvoir sauver des vies qui auraient été autrefois condamnées mais pas toujours restaurer l'intégrité, la santé…Aujourd'hui c'est en particulier le perfectionnement des techniques de réanimation et de maintien artificiel de la vie qui pose parfois de cruels dilemmes. On pense aux paroles de l'Ecclésiaste " plus on a de science, plus on a de tourments " Ec 1.18. A cela il faut ajouter un autre facteur également lié aux progrès de la médecine, le vieillissement de la population en Occident. D'ici à 2025 en Occident les plus de 65 ans formeront 20% de la population, or il y a une corrélation entre accroissement de la population vieillissante et faveur de l'opinion pour l'euthanasie. Tous ces éléments combinés avec le problème posé par l'augmentation des dépenses de santé peuvent générer des attitudes inquiétantes : on m'a rapporté le cas d'un chef de service qui refusait de visiter les patients de plus de 70 ans !

Soins palliatifs

Au stade où on ne peut plus soigner, on peut cependant soulager la douleur. Les soins palliatifs apparaissent à juste titre comme une alternative à l'euthanasie car si l'on fait cesser la douleur, on fait aussi cesser, dans la plupart des cas, la demande d'euthanasie. Ce traitement de la douleur a pourtant longtemps été négligé en France, le cas de la morphine, meilleur analgésique connu, est significatif. Voici les chiffres européens en kg pour 1 million d'habitants (source ONU 1993) : Portugal 0 ; France 4,6 ; Angleterre 29,1 ; Danemark 52,2 1 L'écart est impressionnant !

En la matière les pays nordiques sont les mieux lotis tandis que les pays de l'Europe du Sud sont les parents pauvres. Héritage d'une culture catholique où l'on valorise la souffrance ? C'est aujourd'hui passé de mode même si Jean-Paul II affirme qu'à la croix le Christ " a élevé la souffrance humaine jusqu'à lui donner valeur de Rédemption "2. Si le facteur religieux a pu jouer il n'explique pas tout : l'Allemagne protestante a un chiffre voisin de la France (4,4), alors que l'Autriche catholique est nettement au dessus (6,8). En France, l'utilisation de la morphine a longtemps suscité une profonde méfiance, on craignait d'induire une toxicomanie, selon Jean-Marie Besson, ancien président de la société internationale de lutte contre la douleur. La situation s'est aujourd'hui nettement améliorée ; la consommation de morphine par habitants en France est maintenant supérieure à celle de la Grande-Bretagne3. Bien sûr il faut reconnaître que la morphine et les soins palliatifs ne résolvent pas tous les problèmes : que faire en cas de coma prolongé ? Ou d'une personne qui ne souffre plus physiquement mais moralement de la perte de son autonomie ? Dans ce dernier cas l'accompagnement spirituel est extrêmement important et il est remarquable que le rapport du CCNE ait reconnu qu'il faisait partie intégrante des soins palliatifs.

Euthanasie " active " et " passive " une dispute de mots ?

Certains distinguent entre " l'euthanasie active ", acte de donner la mort, et " l'euthanasie passive ", omission de thérapeutiques qui auraient prolongé la vie. La plupart des médecins pratiquant les soins palliatifs récusent cette distinction et la symétrie qu'elle induit ainsi pour le Dr Sebag-Delanoë :

" Le terme d'euthanasie passive sème la confusion : décider collectivement de ne pas mettre en route une thérapeutique ce n'est pas de l'euthanasie, c'est de la médecine bien conduite. Notre devoir de soignants c'est de donner au patient des soins adaptés à son état…il ne s'agit pas d'empêcher la mort…mais d'améliorer le confort du malade "4. On le voit : derrière les différences de mots il y a des philosophies différentes. Les partisans de l'euthanasie récusent au contraire toute différence. Selon eux c'est pure hypocrisie que de distinguer entre " faire mourir " et " laisser mourir ". En service de réanimation, par exemple, 50% des décès sont précédés d'une décision d'arrêt ou de limitation des soins actifs : respiration artificielle, dialyse etc.

A la réflexion il me semble qu'il y a une différence morale considérable entre causer volontairement la mort et laisser la maladie suivre son cours tout en prodiguant des soins de confort. Même si l'administration d'antalgiques comme la morphine peut raccourcir la durée de vie, le but est de soulager et non de tuer. L'intention du médecin doit donc être prise en compte dans l'évaluation éthique de l'acte. Comme l'affirme l'éthicien catholique Patrick Verspieren : " Dans la plupart des cas où l'on se résout à ne pas essayer de prolonger la vie, il n'y a pas lieu de parler d'euthanasie "5.

Quel doit être le rôle de la loi ?

En France l'euthanasie est assimilée à un meurtre, l'aide au suicide à non-assistance à personne en danger. Le CCNE a réclamé une évolution non de la législation mais de la procédure pénale qui admettrait une " exception d'euthanasie ". Je renvoie à la déclaration de notre commission d'éthique pour la discussion des arguments (page suivante). Mais un point mérite d'être relevé le détournement du rôle de la loi : il y a une dérive individualiste courante dans la société d'aujourd'hui, on demande à la loi d'approuver les aspirations de l'individu sans tenir compte des conséquences pour la société. Léon Schwartzenberg qui défend le droit pour le médecin de décider en conscience d'un acte d'euthanasie a, il y a plusieurs années de cela, parfaitement résumé le problème que poserait sa légalisation :" Si, un jour, je devais être poursuivi par une famille pour avoir abrégé la vie de quelqu'un, je trouverais cela normal. Plus normal en tout cas, que d'être autorisé à le faire par la loi "6. Curieusement ce discours est très proche de celui du Dr Abiven, pionnier des soins palliatifs, catholique engagé, il reconnaît qu'il y a quelques rares cas où il est nécessaire " d'aider le malade à mourir " mais il est pourtant opposé à l'introduction de dérogations dans la loi, comme l'exception d'euthanasie " car tout ce qui est légal devient moral ". " Personnellement je ne vois pas comment faire autrement que de laisser les médecins face à leur conscience "7. Du côté des médecins favorables à l'encadrement légal de l'euthanasie il y a au fond un hédonisme moral, prendre une décision douloureuse est désagréable, on demande alors à la loi de nous décharger de ce poids de la conscience.

Lumières bibliques dans un sombre débat

Dans la Bible, la vie est don de Dieu, Dieu est décrit comme celui qui est et demeure le maître de la vie et de la mort." C'est moi, moi seul qui suis Dieu, Et qu'il n'y a point d'autres dieux près de moi; Moi je fais vivre et je fais mourir " Dt 32.39 .Comme le fait remarquer la déclaration libro-baptiste : " La prétention à maîtriser totalement sa vie ou sa mort, ou celles d'autrui, est prétention à devenir comme des dieux. ". L'acharnement thérapeutique comme l'euthanasie refusent au fond cette perte de maîtrise sur la vie et la mort. Dans ce débat le mérite des textes bibliques est d'appeler l'homme du bientôt XXIe siècle à plus de modestie et à plus d'humanité en respectant les échéances que Dieu nous a fixées. La remarque de l'Ecclésiaste (8.8) " l'homme n'est pas maître de son souffle pour le retenir et il n'a aucune autorité sur le jour de sa mort " qui est un constat et non un commandement, reste valable car si ce souffle de vie semble parfois dépendre de la technique médicale, Dieu réserve quelques surprises aux médecins : 10% des patients que le dossier indique de ne pas réanimer quittent l'hôpital vivants !8. Pour empêcher les dérives d'une médecine hospitalière qui prend la place de Dieu et s'octroie le droit de hâter la mort... surtout quand elle manque de lits, l'interdiction du meurtre doit rester fondatrice. Quant à l'euthanasie sur demande, il faudrait plutôt parler de suicide assisté. La culture judéo-chrétienne a considéré négativement le suicide au contraire de la philosophie stoïcienne. Sénèque faisait du suicide un acte de liberté et réclamait un " droit à la mort "9. Nous avons là deux visions radicalement différentes de la vie incompatibles entre elles. Dans un cas, ma vie ne m'appartient pas elle est don de Dieu ; dans l'autre ma vie n'appartient qu'à moi. Dans un cas la liberté de l'individu est posée en absolu dans l'autre, la liberté de l'individu est reconnue mais guidée par le respect qu'on doit à Dieu et aux hommes. Ce Dieu n'est pas indifférent à la misère de l'homme mortel et l'on trouve même dans le livre des Proverbes l'ancêtre des soins palliatifs " Donnez des boissons fortes à celui qui périt" Pr 31.6 !10...

Dieu nous rappelle par les commandements que nous aurons à rendre compte de ce que nous aurons fait de notre vie et de celle des autres. La perspective des deux Testaments est à contre-courant de l'individualisme ambiant elle rappelle la solidarité entre génération " honore ton père et ta mère ". Enfin la façon dont Jésus combine le " tu ne commettras point de meurtre " et " tu aimeras ton prochain comme toi-même " nous conduit à ne pas opposer l'amour et la loi. Si nous pouvons montrer de la compassion pour ceux qui souffrent et comprendre sans l'approuver tel désir de mort, si devant des situations limites nous devons nous demander ce que nous aurions fait, nous pouvons aussi rappeler que le but de la loi est d'établir des règles de vie commune qui sont un utile garde-fou contre les dérapages de l'égoïsme individuel ou social et nous pouvons encourager la démarche de respect de la personne humaine jusqu'au bout que constitue les soins palliatifs.

Quelques adresses (sites web) utiles
Société francophone d'étude de la douleur : www.douleur-sofred.org
Réseau de lutte contre la douleur : www.douleur-adn.org

1. Chiffres extraits de Ethique chrétienne et médecine moderne Labor et Fides, Fribourg/Paris 1998, p.100
2. Lettre apostolique Salvifici Doloris 1984. Dans l'encyclique Evangelium Vitae 1995 il parle à propos de la Journée Mondiale des Malades du " caractère salvifique de l'offrande de la souffrance ".
3. Entretien accordé à l'Usine nouvelle hors-série, Biotech.info, juin 2000.
4. " Le Monde " samedi 4 mars 2000
5. Art. " euthanasie " Encyclopedia Universalis.
6. Déclaration de 1978 citée par Michel Maret " L'euthanasie, alternative sociale et enjeux pour l'éthique chrétienne ",éditions Saint-Augustin, 2000, p. 119
7. Le Quotidien du médecin lundi 28 février 2000
8. Estimation de H.Doucet cité par Michel Maret op. cité. p.160.
9. Ironie de l'histoire Néron l'a obligé à se suicider !
10. Jésus en refusant la coupe mêlée de myrrhe (Mc 15 :23) a t'il refusé un soin palliatif ? Beaucoup de commentateurs pensent qu'il s'agissait d'une boisson narcotique. Mais d'autres, se basant sur la version de Matthieu (Mt 27 :34) qui parle de " fiel " pensent qu'il s'agissait plutôt d'une boisson exécrable moyen d'humiliation supplémentaire. Ainsi Gundry " The Use of Old Testament in St Matthew's Gospel " Brill, Leyde 1967, p.202, n.6.

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