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Israël pour les chrétiens
3. Les évangéliques et Israël

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Religions et Croyances
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 2000  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Israël pour les chrétiens
  2. Les évangéliques et Israël
  3. A propos des Lieux Saints
  4. Le chrétien, Israël et les Juifs
  5. Faut-il annoncer l'Evangile au peuple juif aujourd'hui ?

D'après un article de Timothy P.Weber (professeur d'histoire de l'Eglise, doyen de la Faculté de théologie baptiste de Lombard, Illinois), paru le 5 octobre 1998 dans Christianity Today, sous le titre " How Evangelicals became Israel's best friend ".

Aux yeux d'observateurs non avertis, les liens privilégiés de nombreux évangéliques avec Israël peuvent paraître paradoxaux : les premiers affichent un soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël, et refusent d'entendre les revendications des Palestiniens tout en visant à l'évangélisation des Juifs et les rendant parfois responsables du chaos dans lequel se trouve le monde actuel. Les Juifs, quant à eux, acceptent volontiers ce soutien, flattent même les responsables (surtout américains), mais condamnent amère-ment le prosélytisme des chrétiens et font leur possible pour limiter les activités missionnaires en Israël.

Des convictions aux opinions

Pour comprendre comment pareils liens ont pu se développer, il faut savoir comment de nombreux évangéliques interprètent les prophéties bibliques, et en quoi leurs convictions ont influencé leurs opinions politiques.

Au niveau le plus élémentaire, les évangéliques aiment Israël à cause de la Bible. Souvenirs vivaces de leçons d'école du dimanche, de cartes de la Terre Sainte, d'histoires bibliques hebdomadaires…

A travers ces expériences-là, les évangéliques en sont venus à considérer l'histoire de la Bible comme leur histoire, et la terre biblique comme une sorte de patrie d'adoption. Israël, c'est le lieu où le Seigneur Jésus est né, a exercé son ministère, a été crucifié, est ressuscité. Chaque année, des milliers d'évangéliques accomplissent ce que l'on pourrait assimiler à un pèlerinage religieux en Terre Sainte, foulent les chemins " où Jésus a marché ", et contemplent de leurs yeux ces lieux dont toute leur mémoire est pétrie. En un certain sens, ils s'attribuent la Terre Promise tout autant qu'aux Israéliens.

Mais un autre élément entre en ligne de compte pour expliquer le rapport des évangéliques à Israël. La plupart croient que la Terre Sainte sera le site des événements accompagnant la seconde venue de Jésus Christ. Leur lecture de la Bible en fait un gigantesque puzzle de prophéties dont le centre est Israël. Ils croient que l'histoire humaine suit un scénario préétabli par Dieu, Israël et eux-mêmes jouant simplement le rôle qui leur est assigné.

Ces convictions s'enracinent dans un système d'interprétation biblique complexe, connu sous le nom de dispensationalisme, mis en forme au milieu du 19ème siècle par un anglais, John Nelson Darby. Il s'agit d'une version du pré-millénarisme (la croyance selon laquelle Christ reviendra avant d'instaurer le millenium). Comme son nom l'indique, le dispensationalisme divise la Bible et l'histoire humaine en périodes, ou " dispensations ". Les chapitres 7 à 9 du prophète Daniel (les soixante-dix semaines) en contiennent la clé, moyennant quelques ajustements. Les Juifs ayant rejeté Jésus, Dieu retarde son retour, se façonne un nouveau peuple, l'Eglise, arrêtant pour un temps l'horloge prophétique. L'histoire entière de l'Eglise se situe donc dans un vide prophétique, ce que les dispensationalistes appellent " la grande parenthèse ". Dieu ayant décidé de ne travailler qu'avec un groupe à la fois, il lui faut enlever l'Eglise de la terre avant de se ré-intéresser aux Juifs. Après le retour de Jésus pour l'Eglise, l'horloge prophétique reprendra son cours, la soixante-dixième semaine de Daniel s'accomplira, après quoi Jésus reviendra avec l'Eglise pour vaincre l'Antichrist et établir son règne de mille ans.

Scénarios séducteurs...

Malgré des débuts difficiles - son pessimisme contredisait l'air du temps , le dispensationalisme a fini par gagner des adeptes par le biais de conférences sur les prophéties, de l'enseignement d'instituts bibliques, de revues et ouvrages divers 1 . Outre le petit nombre " d'experts " scrutant effectivement la Bible, des multitudes moins savantes croient que la Bible contient des indices pour interpréter l'avenir et ont été des proies faciles pour les discours de vulgarisation, et surtout les scénarios les plus fantastiques sur la fin des temps.

Or l'élément pivot de ces scénarios, c'est le rétablissement d'Israël en tant que nation en terre de Palestine. Les dispensationalistes insistaient donc, dès le 19ème siècle, sur le fait que Dieu n'en avait pas fini avec les Juifs, et que, mal-gré les apparences, ils reviendraient à la terre promise. En attendant, tout en étant le peuple élu, héritiers des promesses prophétiques, les Juifs étaient sous le pouvoir de Satan et contribuaient au déclin du monde moderne. Il n'est pas surprenant qu'avec de telles idées, les dispensationalistes aient accueilli la nouvelle de l'Holocauste avec un mélange d'horreur, de résignation et d'espoir. Hitler et les Nazis étaient des instruments du jugement de Dieu ; avant de les juger (comme il l'avait fait des Babyloniens), Dieu les utilisait pour accroître l'aspiration des Juifs à une patrie qui leur soit propre en Palestine. Autant dire que la création de l'Etat d'Israël en 1948 fut acclamée comme le " signe des signes ". Quant aux droits des Palestiniens, ils devaient céder la priorité à l'accomplissement des prophéties. Pour les dispensationalistes, ne pas soutenir Israël revenait à s'opposer au dessein de Dieu.

La guerre des Six Jours en juin 1967 apporta à nouveau de l'eau au moulin des dispensationalistes. De toute évidence, Dieu dirigeait les événements et accomplissait son plan pour Israël.

De la théologie à la politique

Dans les années 1970, les Israéliens se mirent à comprendre l'intérêt que représentait pour eux le soutien de la communauté évangélique, américaine en particulier. On assista à une vaste opération de séduction réciproque à la faveur de laquelle le soutien évangélique à Israël prit une tournure résolument politique. Cette évolution est fort bien illustrée par les deux ouvrages de Hal Lindsey, publiés à une décennie d'intervalle : L'agonie de notre vieille planète (1970) interprétait l'actualité à la façon dispensationaliste, mais en fin de compte appelait surtout à la conversion pour échapper à la colère à venir. Les années 80 : compte à rebours vers Armageddon proposait clairement une vision politique, reflétant des opinions de droite, aspirant à une restauration du rôle prépondérant des Etats-Unis afin de pouvoir venir au secours d'Israël.

Symptomatique est la naissance, ces vingt dernières années, d'une multitude de petits organismes pro-Israël et associations chrétiennes sionistes, bénéficiant de peu de publicité, mais destinés à former la communauté évangélique locale et à susciter son soutien à Israël en ces temps de crise. Une autre organisation pro-Israël, inter-religieuse, mérite encore d'être mentionnée : Voices United for Israel (Voix unies en faveur d'Israël) qui regroupe 200 associations, dont les deux tiers sont évangéliques. Un participant à une de ses conférences disait récemment : " J'ai parfois l'impression qu'il y a davantage de personnes soutenant Israël parmi les évangéliques que parmi les Juifs " !

Objections !

Ces liens privilégiés entre évangéliques et Israël soulèvent d'importantes questions théologiques. L'assurance de connaître la fin peut conduire à des attitudes très fatalistes et même cyniques quant aux efforts en faveur de la paix. Le cynisme d'un Jerry Falwell 2 à propos des accords de Camp David en a été une illustration. Est-ce là honorer la parole de Jésus " Heureux ceux qui cherchent la paix " ? Aucune paix n'est parfaite, ni ne dure à jamais. Mais qui peut être suffisamment sûr que la fin est proche pour décréter que la recherche de la paix est une perte de temps ?

Les activistes politiques évangéliques et les professeurs de prophétie maintiennent simplement que le soutien à Israël est un ordre biblique, citant Genèse 12.3 comme preuve irréfutable (" Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront, tous les peuples de la terre seront bénis en toi "). Certains évangéliques ont même fait des Palestiniens les ennemis de Dieu, les serviteurs de Satan, puis-qu'ils sont opposés à l'Etat moderne d'Israël.

Lire tout ce qui touche à la situation si complexe du Moyen-Orient à travers cette grille prophétique peut faire perdre toute capacité à analyser les événements de façon critique et éthique. Par exemple, de nombreux évangéliques hésitent à porter un jugement sur l'occupation des terres palestiniennes, ou l'invasion du Sud-Liban en 1982. Ils semblent incapables d'envisager la responsabilité d'Israël dans le blocage de la situation dans la région. Il leur faut réexaminer leurs propres positions : croire aux prophéties bibliques les autorise-t-il à laisser de côté le problème du bien et du mal ? Détenir les clés du des-sein prophétique peut-il faire oublier la notion de justice ? La fin justifie-t-elle les moyens pour la simple raison qu'elle a été prophétisée ?

L'avenir est entre les mains de Dieu, et Christ vaincra pour finir. Mais le chemin menant à cette victoire est certainement plus compliqué et semé de surprises que certains le prétendent. L'heure n'est pas à l'assurance orgueilleuse ni aux déclarations fracassantes, mais à l'humilité et à l'espérance.

Traduction-adaptation de Mireille Boissonnat


1. En France ce sont par exemple les livres de René Pache.
2. Célèbre télévangéliste américain

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