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Jeûne et prière
2. Quelle place faire au jeûne dans notre piété ?

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Vie Spirituelle
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 1999  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Quelle place faire au jeûne dans notre piété ?
  2. Jeûnes réguliers d'un conseil d'Eglise
  3. Rendez-vous annuel béni d'une Eglise locale
  4. 40 jours exceptionnels
  5. Citations sur le Jeûne

Le 19 mai 1999, un "appel pour une paix juste dans les Balkans" était lancé par voie de presse en lien avec un jeûne organisé à Paris du 14 mai au 3 juin 1999. Le communiqué, signé par les jeûneurs disait ceci : "Entre désarroi et révolte, nous avons choisi de jeûner quinze jours pour en appeler à la conscience de tous. Nous demandons l'arrêt des frappes aériennes et conjointement une réunion urgente du Conseil de Sécurité de l'ONU, (…). Ce jeûne est le fait de femmes et d'hommes qui ne se réfèrent pas à un parti, mais veulent défendre les droits humains par la non-violence active". De fait, une douzaine d'organisations aussi différentes que l'ACAT (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture), la société religieuse des amis (Quakers), la fondation Larzac, le MIR (Mouvement International de la Réconciliation), … étaient à l'origine de cet appel.

Au moment où notre Fédération et d'autres mouvements évangéliques invitent leurs membres à jeûner et à prier, il est intéressant de noter que, dans des milieux beaucoup plus larges et pour d'autres objectifs, le jeûne semble être un recours possible pour réveiller les consciences. Est-ce là une version sécularisée, sans références religieuses du jeûne pratiqué dans le christianisme et d'autres religions ? Ou est-ce plutôt notre milieu évangélique qui, par un effet de mode , sous l'influence d'une société en pleine quête de spiritualité, retrouve une pratique biblique qu'elle a trop longtemps négligée ? En d'autres termes, y a-t-il de sérieuses raisons, des arguments bibliques pour que nous entrions dans une telle démarche ? Quelle place devons-nous faire au jeûne dans notre piété ?

Pour répondre à cette question, il nous faut d'abord définir ce qu'est le jeûne1

LE JEUNE, C'EST …

Le jeûne, c'est l'abstention totale de nourriture pendant une durée généralement courte (d'un repas à 3 journées), exceptionnellement longue (40 jours pour Moïse et Jésus). Il peut parfois s'accompagner d'un temps d'abstinence sexuelle et très rarement de renonciation à la boisson.

Ainsi défini, le jeûne n'est encore rien d'autre qu'une disposition générale sans considération religieuse et peut être préconisé à titre diététique et/ou médical. Si l'on y ajoute une précision concernant sa dimension spirituelle, son orientation vers Dieu, on a alors la définition d'une pratique religieuse qui n'est pas spécifiquement chrétienne. On peut penser au ramadan, l'un des cinq piliers de l'Islam, qui conduit le musulman à un jeûne total (nourriture, boisson, tabac, relations sexuelles) de l'aube au coucher du soleil pendant tout le neuvième mois du calendrier hégirien.

Ce qui va caractériser le jeûne biblique, ce n'est pas seulement son association à la prière (l'Islam fait aussi une telle association) mais c'est surtout son aspect volontaire et le sens de sa motivation.

CE QUE LA BIBLE EN DIT

Nous trouvons plus de soixante-dix mentions du jeûne dans l'Ecriture avec une très grande variété de formes et de circonstances pour sa pratique.

L'Ancien Testament mentionne :

  • des jeûnes publics réguliers :
    "Le jeûne du quatrième (mois), le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième deviendront pour la maison de Juda des jours de gaieté et de joie."

    Zacharie 8:19

  • des jeûnes publics occasionnels :
    Suite à la destruction de la tribu de Benjamin qui avait gravement péché
    "Tous les Israélites … montèrent … à Béthel, ils pleurèrent et restèrent là devant l'Eternel, ils jeûnèrent en ce jour jusqu'au soir, ils offrirent des holocaustes et des sacrifices de communion devant l'Eternel".

    Juges 20:26

  • des jeûnes privés :
    Voici la réaction de Néhémie au récit de la désolation de Jérusalem :

    "Lorsque j'entendis ces paroles, je m'assis, je pleurais et, pendant plusieurs jours je pris le deuil. Je jeûnais, je priais devant le Dieu des cieux, …"

    Néhémie 1:4

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En d'autres occasions, il est associé à une demande de guérison, de protection, de victoire, de conseil, … Dans tous les cas, il est l'expression d'une dépendance à l'égard de Dieu et l'attente confiante de son intervention.

Le Nouveau Testament en fait aussi mention quoique de manière plus discrète. Les célèbres avertissements de Jésus dans le Sermon sur la montagne : " Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites…" (Matthieu 6:16a) prouvent à contrario la place importante du jeûne dans la piété juive de cette époque.

L'Eglise primitive s'inscrira dans cette ligne et aura recours à cette pratique en des circonstances particulières (cf. Actes 13:1-4) mais n'en fera pas pour autant un élément indispensable de la vie de la communauté chrétienne (cf. Actes 2:42).

L'apôtre Paul ne recommandera d'ailleurs jamais de façon explicite la pratique du jeûne dans ses épîtres, comme il le fera pour la prière par exemple. Par contre, il semble l'avoir souvent vécue (cf. 2 Corinthiens 6:5 et 11:27) dans l'exercice de son ministère sans que l'on puisse forcément distinguer la pratique volontaire de l'absence de nourriture subie.

Ceci étant dit, l'Ecriture nous met en garde contre la banalisation et la mauvaise utilisation du jeûne.

MAUVAIS USAGES DU JEUNE

Parce qu'il s'agit d'un acte de piété dans lequel notre corps est impliqué, la pratique du jeûne comporte quelques risques au même titre que la prière, l'offrande (ou aumône), …Jésus prend soin dans le Sermon sur la montagne d'avertir ses auditeurs contre les tentations liées aux actes extérieurs de la piété (Matthieu 6:1-8). Son souci est d'inviter le croyant à plus d'authenticité : que ce qu'il exprime par des gestes soit en accord avec ce qu'il est réellement et non avec ce qu'il désire paraître. Il fait ainsi écho aux prophètes de l'Ancien Testament qui insistaient sur le coeur plus que sur le rite extérieur ("Déchirez vos coeurs, et non vos vêtements…" Joël 2.13). On peut repérer trois risques liés à l'aspect extérieur du jeûne.

- Le formalisme

Le livre du prophète Esaïe dénonce l'attachement excessif du peuple à la forme au détriment de l'esprit qui doit y présider :

"Vous jeûnez pour vous disputer et vous quereller, pour frapper méchamment du poing, [...] Est-ce là le jeûne que je préconise un jour où l'homme s'humilie ? S'agit-il de courber la tête comme un jonc, de se coucher sur le sac et sur la cendre…?"

Esaïe 58:4s

Le jeûne mis en cause ici paraît rituellement correct mais est véritablement scandaleux. L'attention de Dieu exprimée par le geste est démentie par l'injustice manifestée à l'égard du prochain. Il y a dans le formalisme une erreur de stratégie. Le croyant use son énergie à se conformer aux détails extérieurs pour éviter de se mettre en cause sur le plan intérieur.

- L'ostentation

Jésus, lui, s'en prend à la publicité que nous pouvons mettre en oeuvre autour de nos actes de piété :

"les hypocrites … se rendent le visage tout défait pour montrer aux hommes qu'ils jeûnent"

Matthieu 6:16

Cette attitude correspond au désir de paraître, d'être bien vu des hommes. Il y a dans l'ostentation une erreur de destinataire. Le croyant privilégie un rapport de domination ou au moins de comparaison avec les autres au lieu de rester dans une relation de soumission à Dieu. Cela peut revêtir des formes plus ou moins subtiles. Le mimétisme en est une : nous jeûnons simplement pour ne pas faire moins que les autres ; la revendication en est une autre : nous jeûnons pour asseoir notre légitimité au sein de la communauté !

- La superstition

Plus généralement, l'Ecriture combat les conceptions païennes, quasi magiques des actes de piété. Le jeûne n'est en aucune manière une façon de contraindre Dieu à exaucer notre prière2, ni de le manipuler pour qu'Il acquiesce à notre volonté. Ce n'est pas non plus un exercice de spiritualité mystique, de recherche d'un état d'extase pour obtenir de sensationnelles révélations divines. Il y a dans la superstition une erreur de compréhension majeure. Le croyant cherche ailleurs qu'en Dieu et son amour, le moyen de son salut. Il s'efforce d'en être un acteur méritant et de maîtriser, si c'était possible, l'action du Dieu vivant. Cette remise en cause de la grâce divine, qui est à la racine de tous les mauvais usages du jeûne cités ci-dessus, revient en fait à mépriser la gloire de Celui qui nous a tout donné en son Fils Jésus-Christ.

UNE AFFAIRE DE DISPONIBILITE

Les mauvais usages d'une chose ne nous conduisent pas à y renoncer, mais à la pratiquer d'une façon éclairée. Les risques liés aux actes extérieurs de la piété ne doivent pas nous conduire à ne faire de la foi qu'une affaire intérieure, intime. Le Seigneur nous engage à exprimer aussi par nos corps ce à quoi nos coeurs acquiescent. Dans cette mesure - et en cela j'approuve l'approche de Yan Newberry - je dirai de la pratique du jeûne qu'elle est une expression de notre disponibilité devant Dieu. Elle est une des façons de répondre à son amour, de montrer que nous nous attendons à Lui et que nous attendons tout de Lui.

Par le jeûne, nous nous rendons disponibles pour :
- lui donner du temps … et pas seulement pour ce qui nous fait immédiatement et assez égoïstement plaisir ;
- manifester notre dépendance à son égard. Par nos corps nous disons que nous comptons sur Lui, même quand la satisfaction du besoin élémentaire de la nourriture n'est pas là ;
- marquer notre démarche d'humiliation et de repentance : "Le jeûne public ou privé est le témoignage extérieur d'une affliction intérieure (…). C'est une manière d'exprimer à Dieu notre vrai déplaisir de nous-même et de nos péchés, avec une vraie humilité procédant de la crainte de Dieu" disait le réformateur Jean Calvin.4
- faire preuve de solidarité dans un monde d'injustices criantes à l'égard de ceux qui sont dépourvus (cf. Esaïe 58:6 et 7).

"Sera-t-il agréé de Dieu, ton jeûne si tu ignores ton frère,
Jeûner et partager : la prière prend son envol, portée par ces deux ailes.
Jeûne donc de sorte qu'un autre ayant mangé à ta place,
Tu te réjouisses d'avoir ainsi pris ton repas"

disait Saint-Augustin

Découvrons ou redécouvrons donc chacun pour notre part et en communauté cet aspect de la piété. Faisons-le en respectant la liberté de notre soeur ou de notre frère.

Souvenons-nous que "la prière accompagnée du jeûne n'est pas un moyen d'obtenir ce que nous voulons, c'est plutôt devenir ce que Dieu veut que nous soyons"3 .Et surtout, rappelons-nous que quand nous distribuerions tous nos biens pour la nourriture des pauvres, quand nous livrerions même nos corps pour être brûlé, si nous n'avons pas l'amour, nous ne sommes rien (cf. 1 Corinthiens 13:3).


1 Cette étude doit beaucoup à un article de Jean-François et Catherine GOTTE, Le jeûne et la vie chrétienne dans la revue ICHTHUS (mai 1984 pp.13-14) et à un livre de Yan Newberry, Disponible devant Dieu, et une étude sur la pratique du jeûne biblique (Pierrelatte, Editions Biblos, 1986 - 201pp)
2 Le texte de Matthieu : "… cette sorte de (démon) ne sort que par la prière et par le jeûne " (17:21) est souvent invoqué comme un moyen sûr d'obtenir la victoire souhaitée dans des situations similaires. Deux arguments permettent d'écarter cette compréhension "quasi magique " du jeûne : ce texte est absent des meilleurs manuscrits du Nouveau Testament, son authenticité est donc sujette à caution (c'est pourquoi vous le trouverez entre crochets dans la Bible à la Colombe) et le contexte (17:19-20) met l'accent sur la foi, c'est son absence qui est en cause dans l'échec des disciples.
3 Yan Newberry, p.33
4 Ibid, p.83

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