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La Quête du bonheur
3. Joseph : des abîmes jusqu'aux cimes

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Questions de Société
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 03-2002  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. La Quête du bonheur
  2. Joseph : des abîmes jusqu'aux cimes
L'Ecclésiaste déplorait qu'il y eût des justes auxquels arrivait le sort qu'eussent mérité les méchants.
Sous cet angle, l'histoire de Joseph fils de Jacob peut nous paraître tragique et scandaleuse. (1)

Mort au chouchou !

Il faut reconnaître que, au départ, le fils de Rachel montre des traits de caractère assez désagréables. En le chouchoutant, son père ne lui a pas rendu service : il y a des privilèges qui se retournent contre leur bénéficiaire, et le chouchou va exciter la jalousie de ses onze frères. Deuxième bénédiction (divine, semble-t-il) qui va commencer par desservir Joseph tant il l'utilise mal : Monsieur a des songes, et ne voilà-t-il pas que, sous une forme imagée, il a "vu" ses frères se prosterner devant lui !

Joseph l'arrogant aurait mieux fait de se taire. Car sa présomption va inaugurer un exil douloureux, où vont s'entremêler quelques bonheurs et beaucoup d'injustices à son encontre.

Exaspérés, ses frères cherchent d'abord à le tuer, puis ils décident de le vendre à des marchands qui l'emmènent en Égypte où il est revendu à un officier supérieur.

Le prix de la droiture

La Genèse nous dit explicitement que, dans son infortune, Joseph fut accompagné par Dieu : "Tout lui réussissait", au point qu'il gagna la confiance totale de son maître et lui fut en bénédiction (2). À ce stade, on peut se dire qu"`à quelque chose malheur est bon" et trouver que la balance est à peu près équilibrée, malgré la violence subie et non résolue. Mais, de nouveau, la réussite, les talents, et même la beauté, et même la rectitude morale de Joseph vont se retourner contre lui. En effet, la femme de son maître a envie de coucher avec lui. Joseph refuse et, de dépit, elle le fait accuser de tentative de viol.

Un autre que Joseph se serait peut-être abandonné à quelques caresses agréables, et n'aurait pas eu d'ennuis tant que l'affaire n'était pas éventée. Joseph a été droit, il a même persévéré courageusement dans son refus d'avoir des relations avec la femme de ce maître qu'il respectait. Et il finit au fond d'une cellule... pour avoir fait le bien.

À sa place, je ne pense pas que nous aurions été très reconnaissants envers Dieu. Cette machination est une injustice totale ; Joseph est abandonné à la perversité de la femme ; Dieu laisse la logique humaine le broyer. Pourtant, très sobrement, le texte nous dit que "l'Éternel était avec [Joseph] et faisait réussir tout ce qu'il entreprenait" (3) : Joseph se retrouve chef de détention avec la confiance du directeur de la prison.

Le clairvoyant et l'amnésique

Il va y rester longtemps : on peut évaluer entre dix et treize ans la durée de sa captivité, avec ce facteur aggravant et angoissant que lui ne sait même pas s'il sera un jour libéré.

Un jour, deux serviteurs du pharaon, des codétenus, font chacun un songe, que Joseph interprète : le panetier sera exécuté, le chef des échansons sera rétabli dans sa fonction. Joseph lui demande d'intervenir en sa faveur une fois qu'il sera libéré. Et se trouve résumée avec une grande économie de mots une simple négligence "Les choses se passèrent donc conformément à l'interprétation que Joseph avait donnée de leurs rêves. Mais le chef des échansons ne pensa plus à Joseph : il l'oublia" (4). Cette omission avait de quoi être désespérante par ses conséquences vertigineuses. N'aurait-il pas été facile à Dieu de réveiller la mémoire de l'échanson afin de faire libérer son enfant injustement emprisonné ? Dieu se tait. Joseph semble oublié de l'Éternel lui-même. Deux ans de silence.

C'est alors que le pharaon fait ce rêve prémonitoire des sept vaches grasses et des sept vaches maigres. Personne ne parvenant à l'interpréter, subitement l'échanson retrouve la mémoire. On va déterrer Joseph de sa prison, il prédit sept années d'abondance suivies de sept années de famine, suggère qu'on stocke des vivres pendant les années fastes. Et le pharaon de choisir comme premier ministre l'ex-petit détenu issu d'une obscure tribu mésopotamienne.

L'envers... et l'endroit

À partir de là, on commence à saisir à quel point l'histoire devient merveilleuse. Et cela sans aucun prodige et même avec adjonction de quantité de revers, ce qui est un comble ! Tous les malheurs de Joseph sont organisés pour créer un bonheur inespéré. Il faut même préciser que chacun de ces malheurs aura été nécessaire. Considérons seulement l'amnésie de l'échanson : si celui-ci n'avait pas eu de trou de mémoire, Joseph aurait été libéré deux ans moins tard, il serait retourné en terre de Canaan. Et la rencontre (salutaire pour tout le monde) avec le pharaon n'aurait jamais eu lieu.

Béni personnellement, Joseph va être en bénédiction à l'Égypte(5). Il va l'être aussi à toute sa famille non seulement il va habilement traiter sa propre douleur, la culpabilité de ses frères et le chagrin de son vieux père, mais il va tous les sauver de la famine.

Joseph est une des figures les plus admirables de la Bible. Il faut bien se dire que les histoires de ce genre ne sont merveilleuses qu'une fois le happy end connu, comme l'a fait remarquer le pasteur Thierry Huser lorsqu'il commentait la stérilité d'Abraham ou les misères de Job. Mais pour celui ou celle qui est plongé dans la nuit de la prison, de l'injustice, de la torture, de l'abandon, de la maladie, etc., et qui ne voit pas le bout du tunnel, il faut une dose de foi inouïe en ce Dieu étrange qui semble livrer ses enfants en pâture au mal sous toutes ses formes. Or, Joseph traverse les gouffres sans s'énerver après ce Dieu qu'on serait tenté de croire sadique puisqu'il le fait remonter de la fosse (stricto sensu la première fois) pour le laisser replonger plus brutalement ensuite.

Lorsque Joseph se fait reconnaître par ses frères, il ne justifie pas leur injustice, il ne dit pas que ses malheurs furent agréables à vivre. Mais il se réjouit de constater que le dessein de Dieu a contribué, à travers lui, à faire son propre bonheur et celui de toute sa parenté (6).

Parier sur l'invisible

Évidemment, l'histoire de Joseph ne saurait servir de recette : il y a des prisonniers, il y a des persécutés pour la foi qui ne sont jamais délivrés, des divorcés à qui ne sera jamais donnée une seconde chance, des malades que leur maladie emporte parfois trop jeunes, des accidentés qui restent infirmes... L'histoire de Joseph n'est peut-être qu'une parabole de la résurrection, un avant-goût des Béatitudes qui semblent plutôt viser l'au-delà.

Le bonheur, à coup sûr, consiste à garder confiance, à croire contre toutes les apparences que Dieu reste présent. C'est à lui d'en faire la preuve intime dans le coeur de chaque croyant ; des témoignages extraordinaires abondent en ce sens. Nul doute que l'Éternel fut avec Dietrich Bonhoeffer jusqu'à l'instant où les nazis le pendirent. D'une autre façon, je crois qu'il fut et demeure près de Nelson Mandela, le Joseph du XXeme siècle à bien des égards, qui passa vingt-sept années en prison avant d'être libéré puis élu à la tête de son peuple. Il y a une part d'incommunicable dans le bonheur intime des éprouvés non réprouvés. Tout ne va pas pour le mieux dans ce monde cabossé, mais tout sera bien dans ce Royaume que certains entrevoient du fond de leur détresse.



(1)- Gn 37-50.
(2)- Gn 39.2-6. (3)- Gn 39.23.
(4)- Gn 40.22b-23.
(5)- En soi, ce constat mériterait des prolongements transposés à notre époque. L'Occident "chrétien" ne devrait-il pas cultiver le désir - pas forcément intéressé - de faire du bien à des pays qui lui sont peut-être hostiles, comme l'Égypte, après tout, l'avait été envers Joseph ?
(6)- cf. Gn 45.7-8.

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