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Suicide : solution ou impasse ?
5. Comprendre le suicide : être ou ne pas être

Auteur :
Type : Dossier
Thème : La mort
Source : Aimer & Servir
Réf./Date source : 128  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Suicide : une solution ou une impasse ?
  2. Suicide : Enquête sur un malheur extrême
  3. Refuser le suicide
  4. Comprendre le suicide : être ou ne pas être
  5. Suicide : Illusion et espérance
  6. Les chrétiens face au suicide

Et puis il y a le groupe de ceux qui cherchent à comprendre le sens de ce geste fatal, ce qui, en fait, revient à chercher le sens de la vie et de la mort. Camus écrivait dans un texte célèbre : « Il n'y a qu'un seul problème philosophique vraiment sérieux, c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. ». « Etre ou ne pas être, voilà la question » répond en écho Shakespeare dans Hamlet.

Une première réponse, c'est de dire que la vie est absurde, n'a aucun sens. Encore Shakespeare dans Mac beth : « Chaque existence est une ombre mouvante, un pauvre comédien qui s'agite un moment sur la scène et puis qu'on n'entend plus. C'est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruits et de fureur, et qui n'a pas de sens ». Dans le Roi Lear, il raconte l'histoire absurde de Gloucester, vieil homme qui, après avoir largement profité de la vie, est devenu aveugle, et souhaite se donner la mort en se jetant d'une haute falaise. Il se fait conduire par son fils qui est fou ; ce fils, sans doute pas si fou que cela, le fait sauter du haut d'un monticule de terre. Et, la chute étant évidemment sans conséquence, il lui fait croire que des anges lui ont sauvé la vie. Gloucester de s'écrier : « Désormais je supporterai l'affliction jusqu'à ce qu'elle-même s'écrie : assez, assez et meure ». Vivre ou ne pas vivre, être ou ne pas être, finalement, ni l'un ni l'autre n'a de sens.

Les penseurs grecs, stoïciens et épicuriens, avaient un concept hédoniste, et étonnamment moderne, de la chose. Pour eux, l'important est de savoir sortir à temps. La vie a un sens tant qu'on peut en user à sa guise ; quand ce n'est plus possible, il vaut mieux partir. Sénèque disait : « C'est être bien ivrogne qu'après avoir bu tout le gobelet, de vouloir boire encore la lie ». On quitte la vie comme on sort d'une pièce enfumée à la fin d'une soirée.

Le krach boursier de 1929 déclencha une vague de suicides aux Etats-Unis, et les journaux d'alors titraient : « Le suicide, la politesse des rois ». Jean-Jacques Rousseau soutenait qu'il fallait se suicider dès qu'on s'ennuyait. Ce à quoi Voltaire, qui ne l'aimait sans doute guère, répondait que, si on l'écoutait, il ne resterait plus grand monde sur terre, ajoutant méchamment que s'il fallait mourir dès qu'on s'ennuyait, que fallait-il faire quand on ennuyait les autres ? Chercher à s'accrocher à la vie à tout prix est vain et « petit », savoir partir au bon moment, c'est faire preuve d'un sens certain de l'élégance et de l'esthétisme.

D'autres considèrent le suicide comme l'acte qui manifeste de manière absolue la liberté de l'homme. Caillavet : « le suicide conscient est l'acte unique authentique de la liberté de l'homme. Le suicide du vieillard est non seulement normal mais exemplaire ». Et Raymond Aron de s'interroger : « Se donner la mort, est-ce capituler devant l'épreuve, ou acquérir la suprême maîtrise, celle de l'homme sur sa propre vie ? »

Reste enfin la position qu'on pourrait qualifier de militante et revendicative, d'inspiration post-soixanthuitarde et antipsychiatrique. La vie a un sens mais pas obligatoirement celui que lui reconnaît la majorité. Le suicidaire refuse le monde tel qu'il est, ses valeurs, son agitation, ses divertissements au sens pascalien du mot, c'est-à-dire les activités dont il s'étourdit pour éviter d'avoir à réfléchir sur le sens de l'existence. Il refuse la « guérison » qui n'est qu'une normalisation, un retour dans le rang, il refuse d'être accepté seulement s'il s'adapte. Le suicidaire estime n'être en fait que le bouc émissaire de la société, le paratonnerre, nécessaire à l'équilibre psychique de son entourage que son geste arrange bien. En fait, il veut de toutes ses forces vivre, mais autrement, dans une attitude « d'objection de culture ».

Au terme de ce tour d'horizon, on ne peut qu'être frappé par la très grande diversité des points de vue et interprétations du phénomène suicidaire. Et chacun, si l'on y regarde bien, contient une parcelle de vérité, même s'il est incapable de le décrire de manière complète et satisfaisante. C'est dire que chaque suicide relève d'une histoire personnelle particulière, de motivations et de déterminismes différents et multiples, plusieurs éléments pouvant coexister ou se succéder. D'une certaine manière, chaque suicide est unique, d'une dramatique monotonie quant à la nature du geste, d'une grande complexité quant au mécanisme. Se suicider, c'est préférer ne pas avoir d'avenir plutôt que celui qui est anticipé, c'est « une parole réduite à l'état limite, témoignage d'un malheur extrême ».

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