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Enfance négligée ou abusée
5. Les conséquences chez l'adulte

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Abus et Harcèlement
Source : Aimer & Servir
Réf./Date source : 127  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Enfance négligée, abusée : conséquences
  2. Négligences et abus dans l'enfance
  3. Définitions : Abus sexuel et Inceste
  4. Les conséquences chez l'adulte

Une femme (nordique) ayant vécu des abus graves dans l'enfance est devenue peintre. Par ses peintures, elle a illustré un peu le monde de ce que peut vivre l'enfant ; une de ses peintures montre le corps d'une femme d'un côté ; la tête se promène de l'autre côté. Voici son commentaire :
« Mon corps et ma pensée ont rarement coopéré l'un avec l'autre, chacun a mené sa propre vie ; j'avais appris très jeune à me faire disparaître ; souvent j'avais espéré pouvoir me débarrasser de ma tête, de mes pensées, n'avoir qu'un corps, cela aurait été tellement plus simple ; j'y ai presque réussi; je prenais le chemin de devenir une machine à vendre ; cette recherche me donnait ma dose d'adrénaline et d'endomorphine, mais ce substitut de rage n'était jamais entièrement satisfaisant ; à d'autres moments, je désirais ne plus avoir de corps mais mes pieds de fonte me rappelaient qui j'étais réellement. »
Cela pour illustrer la dissociation qui est un mécanisme de survie, un entraînement à vivre « par dessus ». Après avoir été « victime », on devient « survivant », ce qui est un terme positif. S'il n'est pas entendu, l'enfant va développer des mécanismes de défense pour se protéger contre ses sentiments.

Il va pratiquer le déni, « je vais oublier ce qui s'est passé, je vais l'enfouir et à la limite, il ne s'est rien passé du tout, j'ai rêvé », ou minimiser « cela n'est pas grave, cela n'est arrivé qu'une fois. » On excuse l'abuseur. C'est couper la tête du corps. La tête vit une réalité et le corps en vit une autre. La tête peut oublier mais le corps n'oublie jamais ; il y a une mémoire des corps, ce qui fait que parfois, pour des survivants, ayant complètement oublié leur histoire, le traumatisme peut tout à coup remonter à la surface sans qu'ils comprennent pourquoi.

Pour certains, le mécanisme de défense c'est le rêve éveillé ; on se crée un monde positif. Certaines femmes mariées, font les courses pendant l'acte sexuel ; elles sont tellement absentes, passives ; c'est un mécanisme inconscient ; mais s'il est trop utilisé, il peut devenir ingérable. Cela entraîne une ambivalence : la tête et le corps ne sont pas d'accord.

La connaissance intellectuelle n'est pas la même que la connaissance de l'expérience vécue; le vécu du corps peut-être différent de celui de la tête ; cela amène une difficulté à faire des choix, et, parfois, un brisement de la volonté. « Je veux et je ne veux pas » « Ecoutez-moi, non laissez-moi tranquille. » Cette ambivalence est une difficulté majeure. Un tel problème se retrouve aussi dans le domaine de la foi « Je veux mais finalement je ne suis pas sûr. »

Un autre mécanisme de survie c'est l'automutilation : besoin de souffrir pour mettre des mots sur une souffrance intérieure, le mal être intérieur est tel qu'il faut pouvoir l'exprimer concrètement. Le moyen d'exprimer ce mal-être intérieur, c'est de se faire mal physiquement. Certains ressentent le besoin de revivre un abus, de pécher pour mettre des faits précis sur leur sentiment d'être mauvais, de provoquer des situations où ils vont effectivement pécher et avoir la preuve qu'ils sont réellement mauvais.

Il existe aussi le besoin de sentir la souffrance pour être sûr d'exister; certains sont tellement coupés du corps qu'ils ont l'impression qu'ils ne vivent pas et éprouvent le besoin de se faire du mal pour dire « je vis ». La colère tournée contre soi est volontiers une réaction féminine, l'homme ayant plutôt tendance à la tourner contre autrui et à devenir agressif. Cette colère peut aussi être tournée contre son propre corps, c'est un des moteurs de la prostitution.

Le sabotage est aussi un moyen de s'automutiler, de se dénigrer, de provoquer des situations où les autres vont me rejeter. Prenons l'image d'un enfant qui mendie ; elle aussi est très parlante et évoque la relation que le survivant d'abus a face à lui-même et aux autres. On peut entendre ce cri « Aime-moi! » « Ecoutez-moi ! » Le survivant se sent comme un mendiant portant les haillons du passé qui collent à la peau ; son identité est liée à son histoire ; ce sont des mensonges à dénoncer.

La vie ne leur a pas fait de cadeau ; le bonheur, c'est pour les autres ; ils ont acquis un esprit de victime. « Je subis la vie. » Ce sont des gens qui ne savent plus rêver, ni espérer ; quelque chose est mort en eux ;ils ont une mentalité d'esclave ; ils recherchent l'approbation et l'avis des autres car ce qu'ils pensent et ressentent ne vaut rien ; cette idée négative provient de leur volonté brisée. Ils ne croient plus en leurs capacités. Toutes ces attitudes amènent à des relations dites dysfonctionnelles ; toute histoire d'abus est une histoire de frontière non respectée et violée.
Les comportements extrêmes pourraient être illustrés avec les comportements « pieux » ou le comportement « porc-épic ». Le comportement pieux consiste en ceci : lorsque la personne entre dans une salle, vous savez qu'elle est là, elle prend de la place, vous interrompt. Le comportement « porc-épic » annonce « ne vous approchez pas plus près sinon je vais piquer ! » Ce sont des gens qui gèrent les relations. Un abusé peut passer d'un comportement à l'autre, un jour très ouvert, un autre jour très fermé, mettant beaucoup de distance et allant jusqu'à casser une relation. Ils ne peuvent gérer l'intimité que jusqu'à un certain point mais si l'on parle de fiançailles ou de mariage, c'est le recul. Ce sont des relations dysfonctionnelles.

Le triangle dramatique de Kapman a été travaillé par les Dr Melville et Marsha Utain. Il montre les trois grands rôles que connaissent les survivants d'abus :

  • le rôle d'abuseur,
  • d'aidant sauveur,
  • de victime.
Ils entrent en relation dans la vie avec les autres soit en étant abusif, « je contrôle et gère pour ne pas être contrôlé et géré » soit en étant victime, « je sens l'autre plus fort et plus grand que moi donc je me soumets » , soit en étant celui qui aide « je viens dans une situation où il y a un problème, je vais venir aider. »

Un point qu'évoque ce triangle, c'est le syndrome du sauveur. Tuer sa propre souffrance en s'occupant de celle des autres. En apparence, en milieu chrétien c'est « le don de soi ». C'est souvent dû à une incapacité de dire non. Ces sujets ont beaucoup de foi et d'espérance pour les autres mais il ne faut pas regarder à eux.

Un autre point c'est le sentiment profond de trahison et de méfiance. Jusque vers 11 à 12 ans, l'enfant voit ses parents parfaits, idéaux, et aimerait être comme eux; il a besoin d'une modèle à suivre. Si le traumatisme est dû à un parent, il va ressentir des sentiments négatifs, mais penser que le problème est en lui et non pas en eux; ce sont ses parents et ils l'aiment.

Un dernier point c'est l'incrédulité ; l'abusé va rechercher le parent idéal, vivre parfois des relations très fortes avec des personnes plus âgées. Il existe une hostilité, une peur de faire confiance à quiconque et à ses propres désirs ; une difficulté à croire à des gestes gratuits de bonté ; d'où une difficulté à croire en Dieu ; la tête peut dire « oui, Dieu est bon, Dieu m'aime et veut le meilleur pour moi » , mais le corps dira autre chose ; l'être souffre d'une incapacité à s'approcher trop près de Dieu ; il le désire mais pense que cette intimité n'est pas pour lui, mais pour les autres.

La stigmatisation c'est le sentiment d'avoir une marque indélébile, un tatouage gravé sur soi ; cette personne pense que les gens voient sur elle ce qu'elle a vécu ; elle ressent un besoin de masquer ce qu'elle est réellement, donnant l'impression que tout va bien. Cela entraîne toute une dimension de solitude parce que c'est son secret qu'il faut protéger ; elle court le risque d'être jugée et rejetée ; l'enfant perd son insouciance et son innocence. Cette solitude peut entraîner une maladresse, une inhabileté sociale ; ayant été solitaires ils n'ont pas été frottés aux autres ni corrigés. Cela peut en faire des adultes très isolés.

Un autre point c'est le sens aigu d'impuissance, le sentiment d'impuissance est très fort ; l'enfant a senti l'abandon, surtout s'il a été forcé à faire quelque chose ; il ne possède pas le pouvoir des mots, parce qu'il n'a pas été entendu soit par rapport à l'abuseur soit par rapport aux parents. Sa question est: « comment puis-je gérer ma vie dans ce monde ? » Ces sentiments peuvent être des racines de dépression exogène. Le changement étant un inconnu dangereux, il aime ce qui est établi. Les femmes réagissent plutôt du côté de l'impuissance et l'homme du côté du contrôle. Il y a aussi un besoin de justice lié à la colère ; tous ces gens qui ont souffert utilisent cette colère comme moteur. En soi, cette colère est bonne.

Une autre conséquence de l'abus, c'est la sexualisation traumatique. L'abusé associe négativement tout ce qui est relation physique, avec les pulsions sexuelles que ce soit odeur, bruit, respiration, cri. Certains recherchent une bonne relation sexuelle afin d'effacer la mauvaise expérience, cela expliquant le passage d'un partenaire à l'autre. Possibilité d'une confusion de l'identité sexuelle amenant des dérapages vers l'homosexualité ou le travestisme. Il peut y avoir haine du corps qui amène à la prostitution : « je déteste ce corps donc je vais l'utiliser. » Cette prostitution peut être passive ou active, une manière de se venger des hommes en les avilissant, car, en fait, c'est la prostituée qui mène le jeu.

Un autre point, c'est la honte, imbriquée dans l'identité ; l'abusé cherche quelque chose qui anesthésie sa souffrance.

Il devient souvent dépendant : du travail, de la sexualité, du jeu... Il peut devenir pyromane, pour éliminer et purifier, ou tomber dans la co-dépendance, s'accommoder aux besoins d'autrui, dépendre d'une personne.

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