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Parler de Jésus-Christ
2. Pour une pensée chrétienne fidèle et intelligible

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Religions et Croyances
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 04-2002  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Pour une pensée chrétienne fidèle et intelligible
  2. La joie du témoignage

Quelle est la responsabilité du théologien (1)? Quel service peut-il rendre à l'Église et à la société ? À mon avis, voici quelle est sa tâche : exposer avec fidélité le contenu de la foi chrétienne et le faire de telle sorte que cela soit compréhensible pour ses contemporains. Cela implique une double fidélité : d'une part, à la révélation divine, fondement de son discours et sans laquelle il n'a rien à dire, et d'autre part, aux hommes et aux femmes de son temps auxquels il est tenu de parler avec clarté. Il s'agit donc à la fois d'une fidélité envers Dieu, auteur de la révélation, et d'une fidélité envers les hommes, destinataires du message divin.

Théologie-fossile ou théologie-caméléon ?

Cette double fidélité implique une double vigilance et, en quelque sorte, un travail d'équilibriste : si le théologien favorise de manière trop unilatérale un de ces "pôles", au détriment de l'autre, il n'aura pas atteint son but. Soit le message qu'il adressera à ses contemporains ne sera pas fidèle au message divin, soit il ne sera pas compréhensible. Dans les deux cas, la Parole de Dieu n'aura pas atteint ses destinataires.

Or, chacun de ces pôles peut constituer une tentation : certains, très imprégnés du message biblique (et de telle tradition théologique particulière) et bien à l'aise dans cet univers de pensée, ont du mal à percevoir le décalage existant entre celui-ci et celui de la société dans laquelle nous vivons. Ils délivrent un message, un enseignement fidèle à ce qu'enseigne la Bible, mais qui parle peu (voire pas du tout) à leurs auditeurs. Les auditeurs chrétiens, en possession d'une certaine culture biblique et ayant appris le "patois de Canaan" comprendront - au moins partiellement - un tel discours, tout en éprouvant peut-être certaines difficultés à faire le lien entre ce discours et leur réalité quotidienne et concrète, vécue dans le monde d'aujourd'hui (seul lieu où il nous est donné de vivre). Quant aux auditeurs non chrétiens, la plupart du temps, ils éprouveront la même sensation que celle ressentie par une classe de collégiens visitant un musée des Beaux-Arts : ces oeuvres d'art des siècles passés inspirent (au mieux !) le respect, mais n'ont rien à voir avec leur réalité. On a bien fait de les mettre dans un musée. La Bonne Nouvelle est ainsi fossilisée.

D'autres théologiens, au contraire, très sensibles à la culture contemporaine et au décalage qui existe entre elle et le message biblique, vont produire tous les efforts possibles pour faire passer le message divin, le rendre compréhensible et en montrer aux hommes de ce siècle la pertinence pour leur vie. Louable intention, mais qui, hélas !, parfois (mais pas toujours heureusement) s'accompagne d'un certain "relâchement" vis-à-vis du témoignage biblique. Certains aspects peu compréhensibles ou choquants sont mis entre parenthèses, voire corrigés, afin que le message passe mieux, soit plus facilement acceptable. Ainsi, dans notre culture façonnée par la science et où l'homme est la mesure de toutes choses, nombre de penseurs ont tenté d'expliquer de manière raisonnable les faits miraculeux relatés par la Bible, ont mis de sérieux bémols aux affirmations bibliques, particulièrement sévères, concernant la condition humaine (le péché, vraiment ?) ou concernant le salut (besoin d'être sauvé, vraiment ? un seul sauveur ? n'est-ce pas une vue trop étroite ?), etc. Louable intention, donc, pour que l'Évangile parle aujourd'hui encore à nos contemporains, mais est-ce encore l'Évangile ? Ou est-ce un évangile à la sauce contemporaine, un évangile-caméléon ?

Une pensée chrétienne en dialogue

On constate donc qu'il n'est pas aisé de naviguer entre ces deux écueils et d'arriver à tenir un discours équilibré, fidèle à l'identité chrétienne et pertinent dans le monde d'aujourd'hui. Le théologien allemand contemporain Jürgen Moltmann - dont j'aimerais maintenant dire quelque mots - a fait de cette question une des orientations principales de sa réflexion théologique. II constate que la plupart du temps, loin de trouver ce bon équilibre, la théologie et l'Église tombent dans un des deux travers suivants

Plus la théologie et l'Église cherchent à avoir une signification dans les problèmes actuels, plus elles sont entraînées dans une crise portant sur leur propre identité chrétienne. Plus elles cherchent à affirmer leur identité dans les dogmes, les rites et les idées morales traditionnelles, plus elles perdent de leur signification et de leur crédibilité (Le Dieu Crucifié, p. 13).

Aux yeux de Moltmann, il s'agit de surmonter "cette funeste alternative : un dieu sans réalité ou bien une réalité sans dieu". Mais comment faire ?J'aimerais maintenant montrer (de manière très succincte) la façon dont ce théologien a procédé pour tenter de tenir un discours théologique équilibré.

Moltmann s'est efforcé d'une part d'enraciner sa pensée dans le "terreau" biblique, et de puiser dans les trésors de la grande tradition de l'Église, c'est-à-dire d'être vraiment attentif à la révélation divine et à la façon dont les chrétiens l'ont comprise au cours des siècles ; et d'autre part, il s'est efforcé d'être en dialogue avec son temps, en étant très attentif aux événements et aux évolutions - politiques, sociales, culturelles, religieuses - qui ont façonné la deuxième moitié du 20e siècle. Et à partir de là, il a essayé de dire de manière intelligible et pertinente la foi chrétienne pour les hommes d'aujourd'hui.

Une étude de ses différents livres permet de percevoir que, dans chacun d'eux, ce théologien mène sa réflexion théologique en lien étroit avec des problématiques essentielles de la modernité. En voici, à titre d'illustrations, trois exemples.

Les "lendemains qui chantent" et l'espérance chrétienne

Dans le contexte des années soixante marquées à la fois par le poids de la pensée marxiste-communiste (qui promettait des "lendemains qui chantent") et par l'émergence d'immenses espoirs au sein des populations occidentales suite aux années difficiles de l'après-guerre, Moltmann a perçu l'importance pour le christianisme de repenser théologiquement le thème de l'espérance et de dire au monde quels sont les fondements et la nature de l'espérance chrétienne. Son livre Théologie de l'espérance (paru en 1964) qui développe, en dialogue avec les grands courants de pensée de son temps, cette réflexion - centrée sur la résurrection de Jésus-Christ - connaîtra un très grand retentissement.

Croire en Dieu après Auschwitz

Quelques années plus tard, en 1972, Moltmann publie un autre ouvrage intitulé Le Dieu crucifié. Son objet est de dire le Dieu de la révélation biblique dans le contexte de la modernité, marqué tout particulièrement par les expériences traumatisantes du 20e siècle et par l'athéisme philosophique et pratique. Profondément marqué lui-même par l'expérience de la Seconde Guerre mondiale et par le génocide juif, il n'a de cesse de tenter de donner une réponse crédible à la question éminemment moderne : "peut-on croire en Dieu après Auschwitz ?".

Moltmann repense complètement la question de Dieu à la lumière du Crucifié et de l'interrogation (jusqu'ici pas assez prise en compte selon lui) : "que signifie la mort du Christ pour Dieu lui-même ?". Et ce faisant, il parle d'un Dieu solidaire, engagé lui-même dans les affres de l'Histoire et agissant au coeur de la souffrance humaine pour apporter la véritable libération. Car, le Dieu du christianisme n'est pas cette froide puissance céleste, siégeant indifférent dans son ciel, mais bien au contraire le "Dieu crucifié". Ce qui conduit Moltmann à penser la question du salut sous le double horizon théologique de la culpabilité et du péché, d'une part, et de la souffrance, d'autre part. Sa réflexion est, de manière délibérée, largement existentielle.

L'Esprit qui fait aimer la vie

Plus récemment, Moltmann a publié une importante réflexion sur le Saint-Esprit : L'Esprit qui donne la vie (1991). Dans un contexte marqué par une prise de distance vis-à-vis de la religion traditionnelle (considérée comme obsolète et "anti-vie"), par une culture largement hédoniste et également par un certain mal de vivre, le théologien allemand s'efforce de montrer, en se fondant sur le témoignage biblique, combien l'oeuvre de l'Esprit concerne tous les aspects de la vie, combien il insuffle en l'homme une vitalité nouvelle, et ainsi combien il répond aux aspirations actuelles. Alors que "la vie dans la chair est une vie fausse, manquée, une vie qui ne veut pas vivre et qui conduit à la mort", "la vie dans l'Esprit, en revanche, est la vie véritable, la vie à partir de la source de vie divine, la vie qui conduit à la résurrection". (p. 127). Loin de le pousser à mépriser son corps, à se retirer hors de la société, l'Esprit éveille en l'homme "un amour insoupçonné de la vie... qui disperse les germes de la résignation et qui guérit les souvenirs douloureux" (p. 137). Il le pousse à vivre des expériences communautaires, à prendre part aux combats en faveur de la vie, à résister au "cynisme de la destruction de ce qui est vivant dans le monde des hommes et de la nature" (p. 139) (2).

Moltmann a-t-il pleinement réussi dans son entreprise ? Certainement pas totalement ; plusieurs aspects de sa théologie sont contestables. Cependant, sa façon de faire de la théologie, son désir de développer une pensée chrétienne à la fois fidèle au message de la Bible et compréhensible et pertinente pour nos contemporains me paraît exemplaire. Puissions-nous être animés du même désir et progresser dans ce domaine. Si, selon la formule bien connue, "tout baptiste est un missionnaire", il serait préférable que son message soit fiable... et intelligible.


1) J'emploie le mot "théologien" non pas au sens restreint de théologien-professionnel (professeur de théologie, auteur d'ouvrages spécialisés), mais dans un sens plus large : toute personne ayant une compétence théologique et s'efforçant de rendre compte de manière réfléchie de la révélation biblique.
2) Voir ma présentation de ce livre dans Les Cahiers de l'école pastorale n°37, sept. 2000, p. 28-24.

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