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Lucidité et Espérance

Auteur :
Type : Réflexion
Thème : Le Caractère du Chrétien
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 06-1996  
Publié sur Lueur le
Texte basé sur Jean 2.1-22

Marie apparaît un jour de noces, à Cana. Or voilà, nous dit le texte, que le vin vient à manquer (Jn 2.3). On ne nous dit pas les raisons de ce manque. Mais ce qui est sûr c'est que la noce commence mal et que la fin de soirée s'annonce difficile.
C'est alors que Marie va aller auprès de Jésus dire ces simples mots : Ils n'ont plus de vin. Alors Jésus lui répondit : Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n'est pas encore venue (Jn 2.4). Généralement, on interprète à tort cette phrase mystérieuse comme un agacement de Jésus. En effet, si Jésus avait éconduit sa mère, ainsi qu'on le dit, Marie se serait tue.
Au lieu de cela, la voici fortifiée, encouragée par ce bref dialogue avec son fils, au point qu'elle revient aussitôt vers les serviteurs pour leur donner cette consigne bourrée de confiance : Quoi qu'il vous dise, faites-le (Jn 2.5).
Ainsi la foi exemplaire de Marie va s'exprimer, se tendre, se construire entre ses deux paroles qui se complètent et se répondent. D'un côté un constat qui est déjà une prière ils n'ont plus de vin, et de l'autre cet ordre simple et confiant Quoi qu'il vous dise, faites-le.
Deux paroles indissociables qui tissent la trame même de notre mission quotidienne.

Et la première de ces paroles, c'est celle par laquelle tout commence : "Ils n'ont plus de vin". Parole de constat réaliste et lucide qui déjà nous en dit long sur notre mission au coeur du monde.
En effet, à la suite de Marie -dont l'étymologie du nom signifie "la voyante", la visionnaire- notre mission commence toujours par ce genre de regard et de constat, par cette écoute des autres, par l'attention portée aux situations de joie et de détresse qui nous entourent.
Car la foi au Christ doit nous ouvrir les yeux sur les faims et les soifs de ce temps afin d'alerter nous aussi quand c'est nécessaire, et crier s'il le faut "ils n'ont plus de vin". Et c'est pourquoi il est si important lors de nos rencontres de prendre le temps du partage de nouvelles personnelles et d'échanges sur l'actualité. La foi ne nous rend pas aveugles ou inconscients, elle ne nous berce pas d'illusions, elle ne nous dispense pas d'analyses réalistes des situations. Au contraire, elle nous rend encore plus lucides et vigilants, elle aiguise même notre regard pour démasquer et combattre ce qui désespère notre quotidien.
Ils n'ont plus de vin dit Marie. Et nous de poursuivre : "Il n'y a plus d'amour, plus de justice, plus de paix, plus de solidarité, plus d'avenir...". Et quand on pense à tous les drames de l'actualité, qui pourrait dire le contraire ? Et quand nous pensons à nos Eglises, les raisons d'être inquiets ne manquent pas non plus, les fragilités et les manques sont aussi bien présents.
Oui, souvent les uns et les autres, nous avons envie et besoin de dire au Seigneur : "il n'y a plus de vin". C'est le constat simple et rude qu'il y a des manques et des trous dans nos vies et dans notre histoire. C'est le constat d'une foi exigeante et adulte qui ne ferme pas les yeux sur la réalité, mais qui dresse devant Dieu le tableau sans complaisance de nos fragilités, de nos blessures, de nos limites. Car c'est bien vrai, en effet, que souvent "il n'y a plus de vin".

Mais une fois ce constat posé, Marie n'en reste pas là. La foi n'est pas seulement lucidité et courage clairvoyant, elle est aussi confiance et assurance. Et si Marie sent bien le désespoir de la situation, elle connaît aussi, avant tout le monde, l'espérance qui est en Christ. Elle sait que tout est possible à Dieu pour peu que nous apportions notre contribution et notre service. C'est même cette confiance donnée par Christ qui rend l'obéissance possible.
La preuve : se tournant vers les serviteurs, en grec les diacres, les ministres, Marie leur dit avec assurance cette deuxième parole "quoi qu'il vous dise, faites-le". Ainsi pour accomplir son miracle le Christ a besoin de serviteurs, il a besoin de nous, il a besoin de nos mains, de notre eau, de nos jarres, de nos actes, de notre obéissance concrète à sa Parole. C'est dire que si nous sommes sans doute des serviteurs bons à rien, nous ne sommes pas vraiment des serviteurs inutiles.
"Quoi qu'il vous dise, faites-le". Même si c'est étonnant et déroutant, car nul ne sait d'avance les chemins où peut nous conduire l'obéissance au Christ. "Quoi qu'il vous dise, faites-le". Il y a de la folie dans l'air, la folie de la foi, l'utopie du royaume qui vient briser ce réalisme qui nous englue aujourd'hui jusqu'à prendre le masque du cynisme et de la fatalité. "Quoi qu'il vous dise, faites-le". Même si c'est difficile, dérangeant, irresponsable pour certains, scandaleux pour d'autres, comme ici le fait d'utiliser ces jarres à d'autres fins que les pratiques de purification religieuse pour les-quelles elles étaient prévues.
"Quoi qu'il vous dise, faites-le". Et cette parole est pour chacune et chacun pour nous encourager et nous remettre en action, quand nous avons le sentiment que nous ne sommes pas efficaces ou pas à la hauteur et qu'en tout cas, rien n'avance comme on voudrait. "Quoi que le Christ vous dise, faites-le". Aux jours de découragement, d'interrogation, de perplexité quand nous ne voyons pas les solutions, il faut nous accrocher à cette obéissance qui est d'abord une promesse. Même si certains de nos projets personnels ou communautaires semblent parfois aussi vides que les jarres ici sont vides.
Oui, "quoi qu'il nous dise, faisons-le". Car au bout nous attend la puissance de son amour, au bout nous attend ce miracle qui transforme nos manques en marques d'espérance.

Ainsi dans ces deux phrases de Marie tout est dit : "Ils n'ont plus de vin" et "quoi qu'il vous dise, faites-le". Ici est résumé l'arc tendu de notre foi. Une foi qui ose des constats lucides et courageux. Une foi qui ne fuit pas les difficultés hors de l'histoire, mais qui sait que Dieu peut dès maintenant irriguer nos désespoirs d'un vin généreux.
Ainsi, avec Marie, nous sommes appelés à être lucides sur la réalité de nos vies personnelles et communautaires, vigilants et solidaires devant le mal de ce monde. Mais cette lucidité dans la foi ne doit pas se transformer en désespoir ou en découragement, en repli résigné ou en murmure de frileuse récrimination, mais elle devient prière et obéissance. Puisque prier en effet c'est joindre les mains sans se croiser les bras.
Ainsi le Seigneur ne veut pas des convives qui aient le vin triste, qui croulent sous le poids des souffrances du monde et pleurnichent sans cesse sur les misères de l'Eglise. Il ne veut pas davantage des convives euphoriques qui oublient artificiellement dans une sorte d'ivresse religieuse les dures réalités de l'histoire et les faiblesses de nos communautés. Il veut jusqu'au bout des convives lucides, courageux et confiants qui seuls pourront être des témoins d'espérance.
Et la fin de l'histoire nous montre d'ailleurs, non sans humour, la plénitude de cette espérance. Car le vin nouveau vient non seulement combler la soif des convives, mais encore au-delà de toute attente. D'abord en quantité : six jarres de deux ou trois mesures, sachant qu'une mesure fait 40 litres, vous pouvez sortir les calculettes et oui, vous avez bien vu, cela fait 720 litres, c'est donc considérable !
Mais en plus, souligne le texte, c'est un vin de qualité supérieure au point que cela étonne. Tout le monde offre d'abord le bon vin dit l'organisateur au marié, et lorsque les convives sont gris, on fait servir le moins bon ; mais toi tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant (Jn 2.10). Ainsi, comble de l'humour de Dieu, celui qui est publiquement félicité pour sa générosité, c'est celui qui n'y est pour rien, qui ne sait rien et qui, sans doute, ne comprend rien à ce compliment. Par contre, à tous ceux qui ont contribué au miracle, il n'est rien dit et eux non plus ne disent rien.
C'est cela la grâce de Dieu ! Un cadeau immérité, offert en secret à chacun, mais rendu visible par le service et la prière anonymes d'humbles serviteurs. Telle est la part qui nous revient, oeuvrer et prier pour que la grâce surabonde, en sachant qu'à vues humaines nous ne serons pas payés en retour. Mais il nous restera la joie imprenable d'avoir fait couler en abondance le vin de la promesse.

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