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La violence et les religions

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Type : Réflexion
Thème : Religions et Croyances
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 64  
Publié sur Lueur le
Jamais le lien entre violence et religion n'a sans doute été plus fréquemment évoqué. Est-il naturel ou illégitime ? Pourquoi l'histoire et l'actualité nous donnent-elles tant d'exemples de violences religieuses ? Et comment l'Eglise peut-elle se garder de ce fossé qui a si souvent séparé, dans ce domaine, son discours de sa pratique ?

Si l'on demandait à nos contemporains quel est, dans notre monde, le principal facteur de violence, beaucoup répondraient : la religion. Nous en serions sans doute choqués, mais à y regarder de plus près, il faudrait bien leur reconnaître quelques excuses. Ils ont dans la tête à la fois l'histoire du christianisme, avec ses croisades et ses guerres de religions, et l'actualité de ces dernières années dans laquelle des chrétiens, des musulmans, des juifs ou des hindous se sont affrontés et s'affrontent aujourd'hui en bien des lieux du globe.

Les religions, la paix et la violence

Il m'est arrivé de participer à des rencontres interreligieuses sur la paix et d'en être passablement énervé. On assistait en effet à une suite d'interventions qui, chacune, montrait que la religion de l'orateur était profondément pacifique et qu'à la suivre le monde ne pourrait qu'en être meilleur. Je ne doute pas de la sincérité de ces professions de foi, mais elles laissaient un goût étrange. Car, pour la plupart, elles ne disaient rien sur l'étonnant paradoxe qui veut que cette religion, la leur – et ils pouvaient s'agir de toutes, dont la nôtre – malgré tout ce qui avait été dit, servait de drapeau à des conflits qui étaient souvent extrêmement meurtriers. Pour être crédibles, les discours des religions sur la paix doivent aussi s'interroger sur les raisons de ces déviations.

On dira qu'en fait, il s'agit bien souvent de conflits ethniques ou nationaux et que la religion ne sert que de drapeau. Cette affirmation me semble à la fois vraie et un peu rapide. Prenons l'Irlande du Nord ou l'ex-Yougoslavie. Il est évident que ces conflits ont de très vieilles racines historiques et que la religion est un facteur identitaire plus que spirituel. Mais en même temps, ce facteur identitaire est souvent profond et se mêle intimement à leur attachement communautaire. On peut très bien imaginer qu'une foi réelle soit mélangée avec des facteurs moins spirituels pour aboutir à un mélange qui se révèle alors dangereux. La vraie question me semble être celle-ci : quels sont les éléments de la foi qui peuvent déboucher, souvent malgré l'enseignement du texte fondateur ou des traditions essentielles, sur la violence ?

La religion comme peuple

Il me semble qu'un des aspects essentiels du problème est la confusion entre la religion et le peuple. Dès que l'on identifie sa nation, son groupe avec une religion, le danger est proche car tout conflit deviendra vite religieux et à défendre les intérêts ou les frontières, on défendra la foi et Dieu lui-même, ce qui est le meilleur moyen de devenir aveugle. Lorsque l'on parle ainsi de la France, fille aînée de l'Église, ou de la sainte Russie orthodoxe, on s'ouvre à ce genre de confusion, même si elle ne débouche heureusement pas toujours sur des conséquences violentes. Mais rappelons-nous le conflit entre les Serbes (chrétiens orthodoxes) et les Bosniaques (musulmans). Il est vite devenu un conflit religieux dans l'esprit des belligérants, même de ceux qui n'avaient sans doute qu'une fois assez mince. Ce sont des communautés humaines, sociales qui s'affrontent, mais la religion devient vite le symbole identitaire de référence qui réactive la mémoire historique. Le conflit israélo-palestinien est de même nature. Deux communautés, deux peuples s'affrontent, mais, dans une certaine mesure, de part et d'autre, le conflit est compris comme l'affrontement de deux religions et on peut en voir les conséquences jusque dans nos banlieues.

Cette question soulève d'ailleurs un autre problème qui est également source de violence même lorsque les frontières sont en paix. Si l'on identifie le peuple et sa religion, celui ou celle qui change de religion, ou simplement la minorité qui prie autrement, deviennent alors des ennemis intérieurs, des traîtres qu'il est bon de stigmatiser et qui deviennent les victimes désignées des pogroms ou des manifestations violentes de haine. Ceux qui les agresseront le feront pour la plus grande gloire de Dieu. Bien des communautés chrétiennes – mais pas seulement ; cela pourrait être vrai, selon les latitudes, de la plupart des religions – souffrent aujourd'hui de discrimination et de violences pour cette raison aujourd'hui encore.

La foi personnelle

La seule solution, me semble-t-il, est de distinguer radicalement le peuple ou la nation de la religion ou de la foi qui, historiquement, a été et est peut-être encore majoritaire. La foi est de l'ordre de la conviction intérieure personnelle, et elle doit toujours être libre. Dès que ce n'est plus la cas, elle n'est qu'utilisation hypocrite (parfois sans doute inconsciente) de valeurs spirituelles pour défendre des intérêts communautaires. La religion devient alors, comme elle l'a souvent été dans le passé de l'humanité, une institution humaine, trop humaine, de protection de l'identité sociale d'un groupe et le Dieu qu'on invoque, fût-il celui de la Bible, est ramené à la hauteur des dieux et des idoles de la cité ou de la tribu. Bien sûr, ces croyants pourront se regrouper en communautés, mais c'est la foi, la conviction qui en sera le moteur et le respect de la personne et des convictions différentes passera avant l'appartenance communautaire.

Il faut reconnaître qu'il est plus facile pour certaines religions de dire cela que pour d'autres. Les baptistes ont par exemple, depuis le 17ème siècle, mis l'accent sur la démarche personnelle et sur l'Église comme assemblée de « professants », de personnes qui professent leur foi. Ils ont milité, de même que les quakers, pour la liberté de conscience, même lorsqu'ils auraient été en mesure d'imposer leurs propres convictions à une société. Il ne faut surtout pas voir dans cette démarche une sorte de concession faite à l'air du temps. D'abord, à l'époque, l'air du temps était à l'intolérance et à la violence, et surtout, c'était pour des raisons religieuses qu'ils défendaient cette position. Pour eux, en effet, sans la liberté de ne pas croire, il n'y a pas de communauté sincère ; il ne peut y avoir qu'un conformisme religieux qui porte en lui l'hypocrisie comme les nuages la pluie.

Les nécessaires conversions

Ce respect de la liberté religieuse, rarissime dans le passé, est aujourd'hui devenu assez largement partagé par les Églises chrétiennes, pour des raisons théologiques et spirituelles. On peut assez facilement constater que ce n'est pas le cas de toutes les religions. Certaines ont, dans leurs textes fondateurs, une présence de la violence qui rend difficile de s'ouvrir à une autre perspective. Reconnaissons que, dans la Bible elle-même, la violence est présente et que certains textes de l'Ancien Testament semblent bien nous montrer un Dieu qui soutient et même ordonne des violences radicales. Ces textes ne sont pas toujours faciles à comprendre pour des chrétiens qui se veulent respectueux de toute la révélation et ils ont donné lieu à bien des interprétations. Mais tous, nous devons reconnaître qu'il y a un progrès de la révélation et que celle-ci culmine pour les chrétiens dans la personne et l'enseignement du Christ. Il est clair que le Sermon sur la montagne (Matthieu 5.7), avec l'amour de l'ennemi et la nécessaire réconciliation nous concerne plus directement que les guerres saintes que nous trouvons dans le passé.

Dès que nous quittons cette perspective de la foi comme responsabilité personnelle et de l'amour du prochain comme commandement premier au même niveau que l'amour de Dieu, nous ouvrons la porte à toutes les justifications des violences religieuses. Et tant que ces dimensions ne seront pas acceptées en entrées dans les moeurs de tous, les discours sur la religion comme facteur de paix resteront des discours...

Ne nous y trompons pas cependant, la violence a bien d'autres ruses pour s'immiscer dans les religions, y compris dans nos Églises. Le lien entre drapeau religieux et groupe identitaire est quelque chose de naturel et semble inscrit dans nos modes de fonctionnement depuis toujours. L'expérience le montre : il est possible d'avoir des convictions très évangéliques et, si cette sensibilité se trouve majoritaire, de retrouver, malgré les convictions théoriques, les vieux réflexes identitaires et éventuellement agressifs. En un mot, la paix restera toujours un combat, combat contre les tentations qui nous guettent, combat contre tous les vieux « démons » qui sont tapis à nos portes et qui ne demandent qu'un moment d'inattention pour transformer notre foi en attachement communautaire et identitaire dangereux. Tels que nous sommes, nous avons besoin et nous aurons sans doute toujours besoin de l'action de Dieu pour ne pas retomber dans les ornières de l'histoire et pour être disciples du Prince de la paix.

Commentaires (2)

par Renan

Bonjour,
Oui la religion sert souvent de marqueur identitaire pour des conflits qui sont avant tout politiques (accès à la souveraineté ou à l'indépendance) comme en Irlande ou au Sri Lanka. Historiquement, les religions ont d'ailleurs toujours été ethniques avant que n'apparaissent les religions aptes à de déterritorialiser: le bouddhisme, les cultes orientaux, le christianisme et l'islam.
Mais ces anciennes religions ethniques, si elles pouvaient avoir des rituels violents, comme les sacrifices, ne généraient pas de violence entre les peuples. Les peuples polythéistes se faisaient certes la guerre, mais jamais pour imposer son dieu à l'autre. La décision de se faire la guerre était une décision purement humaine, décidée pour des motifs profanes. Certes, comme toute activité humaine, la guerre était ritualisée, les hommes sacrifiaient aux dieux et les dieux accompagnaient leurs peuples, mais ils n'étaient que des accompagnants, et non pas les buts de guerre ni les moteurs de la guerre.
Ce n'est donc pas le caractère ethnique, identitaire des religions qui les rend meurtrières. Hors les causes rituelles, bien circonscrites, il est une autre cause de violence bien évidente, mais propre aux seules religions abrahamiques, et même probablement seulement au christianisme et à l'islam : le devoir sacré de convertir les autres peuples. Le dieu des religions abrahamiques ordonne de détruire les dieux d'autrui, qu'il qualifie d'idoles, lui-même s'affirmant comme le seul vrai dieu, comme l'illustre la parole de Saint Augustin "L'Eglise persécute par amour".
Suite sur un prochain billet

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par Renan

L'ordre de brûler les idoles a été la justification avancée par tous les acteurs des violences monothéistes : chasse aux hérétiques, aux apostats, aux idolâtres, aux sorcières, aux Juifs, aux Sarrasins, aux lépreux, sous différentes modalités et institutions, dont la fameuse Inquisition. Le maître mot de l'Eglise depuis le IVème siècle jusqu'au XXème n'a-t-il pas été l'extirpation de l'idolâtrie, au nom de laquelle les religions, et, partant, la culture, le ciment de l'identité sociale des peuples évangélisés ont été systématiquement détruits ?
Certes depuis Vatican II "l'extirpation de l'idolâtrie" a été proscrite du vocabulaire. Mais l'objectif a-t-il changé ?
Il y eut certes au XXème siècle un courant pluraliste, une théologie du pluralisme religieux, qui récusaient "l'absoluité du christianisme" et le devoir d'évangélisation. John Hick en fut le représentant le plus éloquent. Qui s'en réclame aujourd'hui ? Tuer les dieux d'autrui n'est-il pas toujours le devoir sacré des chrétiens comme des musulmans ? Aime ton prochain, mais combats l'idolâtre, ce suppôt de Satan : cette injonction paradoxale n'est-elle pas la cause principale des violences commises au nom de Jésus et d'Allah ? On pourra dire qu'un texte ne tue pas, mais un appel à tuer les dieux d'autrui ne constitue-t-il pas un appel à la violence, et, sinon une cause directe, mécanique, du moins un facteur de risque de violence ?
A cette question les Eglises préfèrent répondre par des exégèses affirmant la non-violence des textes. Ce type de réponse est-il à la hauteur du problème, est-il de nature à s'opposer à la force du texte sacré? L'actualité ne semble-t-elle pas démontrer le contraire ?

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