Genèse 2:4-15
(Annotée Neuchâtel)
4
C'est là ce qui est procédé des cieux et de la terre quand ils furent créés, au jour où l'Eternel Dieu fit une terre et des cieux.
5
Il n'y avait encore sur la terre aucun arbrisseau des champs, et aucune herbe des champs n'avait encore germé ; car l'Eternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol ;
6
et une vapeur montait de la terre et arrosait toute la face du sol.
7
Et l'Eternel Dieu forma l'homme de la poussière du sol, et il souffla dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être animé.
8 Et l'Eternel Dieu planta un arbre en Eden, à l'orient, et il mit là l'homme qu'il avait formé. 9 Et l'Eternel Dieu fit pousser du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. 10 Et un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin, et de là il se partageait et devenait quatre fleuves. 11 Le nom de l'un est Pischon ; c'est celui qui entoure toute la terre de Havila où est l'or 12 Et l'or de cette terre-là est bon ; c'est là qu'est le bdellium et la pierre de Schoham. 13 Et le nom du second fleuve est Guihon ; c'est celui qui entoure toute la terre de Cusch. 14 Et le nom du troisième fleuve est Hiddékel, qui coule à l'orient d'Assur. Et le quatrième fleuve est l'Euphrate. 15 Et l'Eternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et pour le garder.
8 Et l'Eternel Dieu planta un arbre en Eden, à l'orient, et il mit là l'homme qu'il avait formé. 9 Et l'Eternel Dieu fit pousser du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. 10 Et un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin, et de là il se partageait et devenait quatre fleuves. 11 Le nom de l'un est Pischon ; c'est celui qui entoure toute la terre de Havila où est l'or 12 Et l'or de cette terre-là est bon ; c'est là qu'est le bdellium et la pierre de Schoham. 13 Et le nom du second fleuve est Guihon ; c'est celui qui entoure toute la terre de Cusch. 14 Et le nom du troisième fleuve est Hiddékel, qui coule à l'orient d'Assur. Et le quatrième fleuve est l'Euphrate. 15 Et l'Eternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et pour le garder.
Références croisées
2:4 Gn 1:4, Gn 5:1, Gn 10:1, Gn 11:10, Gn 25:12, Gn 25:19, Gn 36:1, Gn 36:9, Ex 6:16, Jb 38:28, Ps 90:1-2, Ex 15:3, 1R 18:39, 2Ch 20:6, Ps 18:31, Ps 86:10, Es 44:6, Ap 1:4, Ap 1:8, Ap 11:17, Ap 16:5Réciproques : Gn 2:1, Gn 6:9, Gn 37:2, Nb 3:1, 2R 19:15, Mt 1:1, Mc 4:28
2:5 Gn 1:12, Ps 104:14, Jb 5:10, Jb 38:26-28, Ps 65:9-11, Ps 135:7, Jr 14:22, Mt 5:45, He 6:7, Gn 3:23, Gn 4:2, Gn 4:12
Réciproques : Gn 1:11, Gn 7:4, Jb 36:27, Es 26:19, Mc 4:28
2:6 Gn 2:6
Réciproques : Jb 36:27, Ps 135:7, Es 26:19
2:7 Ps 100:3, Ps 139:14-15, Es 64:8, Gn 3:19, Gn 3:23, Jb 4:19, Jb 33:6, Ps 103:14, Ec 3:7, Ec 3:20, Ec 12:7, Es 64:8, Rm 9:20, 1Co 15:47, 2Co 4:7, 2Co 5:1, Jb 27:3, Jb 33:4, Jn 20:22, Ac 17:25, Gn 7:22, Ec 3:21, Es 2:22, Nb 16:22, Nb 27:16, Pr 20:27, Za 12:1, 1Co 15:45, He 12:9
Réciproques : Gn 6:17, Gn 18:27, Jb 10:9, Jb 12:10, Jb 13:12, Jb 35:11, Ps 8:5, Ps 33:6, Ps 146:4, Es 42:5, Lm 4:20, Ez 10:17, Ez 37:5, Dn 5:23, Ml 2:15, Lc 3:38, Lc 11:40, Jn 6:63, 1Tm 2:13, Ap 11:11, Ap 13:15
2:8 Gn 13:10, Ez 28:13, Ez 31:8-9, Jl 2:3, Gn 3:24, Gn 4:16, 2R 19:12, Ez 27:23, Ez 31:16, Ez 31:18, Gn 2:15
Réciproques : Nb 24:6, Ec 2:5, Es 37:12, Es 51:3, Ez 36:35
2:9 Ez 31:8-9, Ez 31:16, Ez 31:18, Gn 3:22, Pr 3:18, Pr 11:30, Ez 47:12, Jn 6:48, Ap 2:7, Ap 22:2, Ap 22:14, Gn 2:17, Gn 3:3, Gn 3:22, Dt 6:25, Es 44:25, Es 47:10, 1Co 8:1
Réciproques : Gn 1:11, Gn 2:16, Gn 13:10, Ps 104:14, Ec 2:5, Ct 6:11, Es 51:3, Ez 36:35, Ez 47:7, Mc 4:28
2:10 Ps 46:4, Ap 22:1
Réciproques : Gn 13:10, Ps 137:1, Ez 47:7
2:11 Gn 10:7, Gn 10:29, Gn 25:18, 1S 15:7
Réciproques : 1Ch 1:23, Jb 28:1, Ez 28:13
2:12 Nb 11:7, Ex 28:20, Ex 39:13, Jb 28:16, Ez 28:13
Réciproques : Ex 28:9, 1Ch 29:2
2:13 Gn 10:6, Es 11:11
Réciproques : 2R 17:30, Es 37:9
2:14 Dn 10:4, Gn 10:11, Gn 10:22, Gn 25:18, Gn 15:18, Dt 1:7, Dt 11:24, Ap 9:14
Réciproques : Gn 31:21, 1Ch 5:9, Es 23:13, Ez 23:23
2:15 Gn 2:2, Jb 31:33, Gn 2:8, Ps 128:2, Ep 4:28
Réciproques : Gn 2:19, Gn 5:2, Jn 18:1
Notes de la Bible Annotée Neuchâtel
A savoir : les notes ne font PAS partie du texte biblique. Plus d'informationsGenèse 2
- 2.4 Nous croyons devoir rattacher au morceau précédent le verset 4, comme sommaire de tout le récit de la création. Beaucoup d'interprètes en agissent autrement.
Les uns y voient le titre du morceau suivant : Voici ce qui arriva des cieux et de la terre une fois qu'ils eurent été créés, au jour où l'Eternel Dieu eut fait la terre et les cieux.
Cette traduction se heurte d'abord au mot les cieux, car dans ce qui suit, il n'est plus question que de la terre; il serait bien peu naturel d'expliquer ce mot : les cieux, par l'intervention de Satan au chapitre 3, ou par celle des fils de Dieu au chapitre 6; de plus, on est obligé de donner aux deux verbes le sens de parfaits antérieurs : eurent été créés, eut fait, ce qui ne peut se justifier grammaticalement.
Une autre construction consiste à séparer les deux phrases de ce verset en ponctuant après qu'il les eut créés, et en rapportant la seconde proposition à ce qui suit : Au jour où l'Eternel Dieu fit une terre et des cieux, toutes les plantes des champs n'étaient pas encore, ce qui exprimerait solennellement une chose qui s'entend d'elle-même, à moins que l'on ne suppose, avec quelques anciens interprètes juifs, qu'il y avait bien quelques plantes, mais non pas toutes, sens qui renferme une absurdité, puisque évidemment avant que Dieu créât il n'existait aucune plante.
Ou bien on pourrait dans cette construction faire aller la proposition subordonnée jusqu'au verset 7, où se trouverait la principale dans ces mots : l'Eternel forma : Au jour où l'Eternel Dieu fit une terre et des cieux et où... car l'Eternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir.., toute la face du sol... l'Eternel Dieu forma... Mais il est impossible d'admettre dans un récit dont le style est constamment clair et simple, une construction aussi compliquée.
Un interprète moderne a supposé que cette première proposition était primitivement en tête du chapitre 1; ce serait le rédacteur définitif du Pentateuque qui aurait transposé cette formule du commencement du récit à la fin. C'est là une hypothèse arbitraire.
Nous pensons plutôt que l'auteur n'a pas voulu ôter à cette entrée sublime : Au commencement Dieu créa, son caractère unique en y mettant un titre comme au commencement des autres récits et qu'il a préféré le placer comme sommaire à la fin du récit.
Ce qui est procédé, Le mot tholedot littéralement : ce qui est engendré s'applique ici a tous les êtres qui furent tirés, par le travail des six jours, de la matière des cieux et de la terre primitivement créée.
Les mots suivants : au jour où l'Eternel fit une terre et des cieux, résument tout le tableau de la semaine créatrice on affirmant encore une fois, en opposition à toutes les fictions polythéistes, ce fait capital que rien de ce qui existe n'existe en dehors de la volonté et de la puissance divines.
L'Eternel Dieu. Sur le mot Dieu (Elohim) voir à1.1
. L'Eternel, en hébreu Jéhova ou plus exactement Jahvé. Ce mot appartient au verbe hava, ancienne forme de haja, être; c'est proprement la troisième personne du temps imparfait, qui correspond d'ordinaire en hébreu à notre futur.
Dieu donne lui-même le sens de ce nom quand il s'appelle (Exode 3.14
) Ehejé, Je serai, par où il indique qu'il a et aura l'être pour essence. Il se désigne ainsi comme le moi identique avec l'être, c'est-à-dire comme la personnalité absolue.
C'est comme tel qu'il est en rapport particulier avec l'homme, le seul être terrestre qui partage avec lui le caractère de la personnalité, qu'il dirige son développement, et qu'il devient dans l'histoire le Dieu du peuple qui sera son agent pour la réalisation de son règne.
Le nom composé l'Eternel Dieu ne se retrouve qu'une fois dans le Pentateuque (Exode 9.30
) en dehors des chapitres 2 et 1 de la Genèse, et assez rarement dans les autres livres de l'Ancien Testament. Il est destiné à faire ressortir l'identité personnelle du Dieu de la nature, qui vient d'agir comme créateur du monde, et du Dieu qui va se manifester désormais comme dirigeant les destinées de l'humanité et spécialement celles du peuple d'Israël.
Il importait à Israël de savoir que Jéhova, son Dieu national, n'était pas seulement l'une d'entre les divinités adorées sur la terre, mais le Dieu unique, créateur et maître de l'univers (Elohim).
Ce n'était qu'à cette condition qu'il pouvait lui vouer une foi absolue et compter sur lui dans toutes ses luttes avec les hommes et avec les choses. C'est dans le même sens que dans le Nouveau Testament Jésus, le chef de l'Eglise, est présenté en même temps à celle-ci comme le souverain universel : Chef de l'Eglise qui est son corps, sur toutes choses. (Ephésiens 1.22
)
Il est manifeste que, par cette union entre les deux noms de Dieu, Elohim et Jéhova, comme en un seul nom, le rédacteur a voulu faire la transition entre le récit qui précède et celui qui suit; et si, comme cela nous parait vraisemblable. le récit suivant est tiré d'un nouveau document dans lequel Dieu était habituellement. désigné sous le nom de Jéhova, nous comprenons aisément ce qui a porté le rédacteur à joindre dans ce passage, qui est comme le trait d'union entre ses deux sources, ces deux noms de Dieu, de manière à faire bien ressortir qu'il ne s'agit que d'un seul et même être divin.
Une terre et des cieux. Cette forme sert à fermer le récit ouvert par1.1
: Au commencement Dieu créa les cieux et la terre.
Conclusion sur le début de Genèse (de 1.1 à 2.4)
Nous commencerons par étudier rapidement les récits des autres peuples anciens qui se rapportent au même sujet que le premier chapitre de la Genèse. Nous rechercherons ensuite quelle a pu être l'origine de ce dernier récit.
D'après le livre des lois de Manou, l'un des monuments les plus anciens de la littérature hindoue, le point de départ de toutes choses est une obscurité sans commencement. Tout à coup l'esprit infini et éternel s'éveille et pénètre cette nuit de ses rayons. Il produit les eaux, dans lesquelles il dépose un germe; ce germe devient un œuf resplendissant dans lequel naît le dieu Brahma, le premier des êtres. Il y demeure enfermé trois trillions d'années, puis par la puissance de sa pensée, il fend l'œuf en deux moitiés, le ciel et la terre, entre lesquels apparaissent l'atmosphère, les huit sphères célestes et l'intarissable réservoir des eaux. Dès ce moment, il crée incessamment tous les êtres particuliers, dieux, génies, vertus, vices, pêle-mêle avec tous les êtres et objets terrestres.
Dans cette conception, la matière est éternelle aussi bien que l'esprit, et Dieu naît de cette matière avant de tirer de soi tous les êtres.
Les Persans, d'après une tradition conservée dans le Bundehesch l'une des parties les plus modernes de leur livre sacré, ne croyaient pas à l'existence d'un chaos primitif. La terre, créée par le dieu bon, Ahura-Mazda, fait d'abord partie du ciel, puis elle tombe dans l'espace. Le dieu bon crée en six périodes le ciel (terrestre), l'eau, la terre, les arbres, le bétail et les hommes. Ces six époques correspondent non aux jours de la semaine, mais aux six saisons de l'année persane. Après chacune de ces œuvres, le dieu bon et ses anges, les Amschaspands, célèbrent un temps de fête et de repos, origine des six fêtes annuelles des Persans. A cette œuvre du dieu bon est mêlée l'œuvre du dieu mauvais. Toute la vie de l'univers doit durer douze mille ans, et chacun de ces milliers est sous la domination d'un des douze signes du zodiaque.
On est frappé du rapport entre les six périodes créatrices suivies chacune d'un jour de repos et les six jours de la Genèse aboutissant à un jour de repos final. Mais ce récit diffère de celui de la Bible en ce qu'il oppose l'un à l'autre deux dieux dont les œuvres se contrarient. Cette conception est probablement influencée d'un côté par l'astrologie babylonienne et de l'autre par la tradition sabbatique juive.
La conception grecque nous est présentée sous sa forme la plus ancienne par Hésiode (environ 900 ans avant J.C.). Le premi er des êtres est le Chaos, qui produit la Terre, le Tartare (les profondeurs de la terre) et l'Amour, puis les deux êtres appelés Erèbe et Nuit. Ces deux derniers enfantent à leur tour l'Ether et le Jour. La Terre produit d'elle-même Uranus, le ciel étoilé, demeure des dieux, puis les montagnes et la mer. Fécondée par Uranus, elle enfante le fleuve Océan qui entoure la terre et qui est la source de tous les autres fleuves, et les Titans, dont sont procédés Jupiter, les dieux de l'Olympe et les hommes. - 2.5 5-7, La création de l'homme.
Il résulte de notre explication du verset 4 que le verset 5 commence une phrase nouvelle.
Aucun arbrisseau des champs. Le mot hébreu siach signifie arbrisseau, et non plante, comme on l'a quelquefois traduit. ComparezGenèse 21.15; Job 30.4,7
.
Aucune herbe des champs : légumes, céréales; le mot hébreu (ésev) est le même qui est employé au chapitre 1. Le récit n'exclut pas le gazon, la verdure du sol (désché), mais seulement les plantes pour lesquelles la main de l'homme est nécessaire, et les arbres.
Cette stérilité avait deux causes : le manque de pluie d'une part (l'Eternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir) et de l'autre l'absence du travail humain (il n'y avait pas d'homme...).
On ne comprend bien la liaison de ces deux causes, en apparence complètement hétérogènes, que si l'on rapporte la seconde à l'absence de canaux d'irrigation que l'homme seul peut établir et qui sont indispensables pour remplacer la pluie dans un pays très chaud et habituellement privé de l'eau du ciel. Que serait, par exemple, l'Egypte, le pays le plus fertile du monde, si l'homme n'était pas là pour suppléer par la canalisation du Nil à l'absence complète de pluie? Son sol deviendrait nu comme celui de la contrée dans laquelle était situé le paradis. - 2.6 Une vapeur montait. Plusieurs interprètes ont fait dépendre encore cette proposition de la négation renfermée dans la proposition précédente et ont traduit : Une vapeur ne montait pas, trouvant ainsi dans ces mots une nouvelle cause de stérilité. Mais comme chacune des deux propositions précédentes a sa négation spéciale, il nous paraît qu'il devrait en être de même de la troisième, si elle était aussi négative.
Cette vapeur remplaçait jusqu'à un certain point la pluie et donnait déjà au sol une certaine fertilité. Nous n'avons pas le droit de conclure de ce passage qu'il n'ait pas plu jusqu'au déluge; l'arc-en-ciel, donné pour signe après ce cataclysme, a pu exister auparavant sans que Dieu y ait encore attaché le sens qu'il donne alors à ce phénomène.
Notre récit lui-même suppose l'existence de la pluie en parlant d'un fleuve qui arrosait le paradis; il devait tomber de l'eau dans la région de ses sources. - 2.7 Dans ce passage, où il est parlé de la création de l'homme, non dans son rapport avec la nature, mais en vue de lui-même, le récit fait ressortir les traits constitutifs de son être. Il en distingue deux : le corps, poussière du sol, et l'âme, souffle de Dieu.
Lors même que ces deux éléments de la nature humaine sont mentionnés successivement, en raison du caractère figuré de la narration il n'est point impossible d'admettre que les deux éléments, corporel et spirituel, ont pu être formés simultanément.
Dieu forma. Cette expression semblerait dire que Dieu a de ses mains formé le corps humain; ce trait a évidemment aussi un caractère figuré; la réalité cachée sous ces images est pour nous incompréhensible, comme tout ce qui tient aux actes créateurs.
Mais il faut remarquer la différence établie ici entre l'origine du corps de l'homme et celle du corps des animaux; à l'égard de ceux-ci, Dieu disait: Que les eaux, l'air, la terre produisent; ici il agit plus directement, il forme lui-même.
Poussière du sol. Malgré la différence signalée, il y a, au point de vue de la substance, homogénéité entre le corps de l'homme et celui des animaux.
Et il souffla. Les animaux sont aussi animés d'un souffle de vie, mais celui que possède l'homme émane de Dieu lui-même; c'est là le caractère distinctif de l'âme humaine, qui explique l'expression du chapitre 1 : Il le fit à son image.
Dans ses narines. Image empruntée au fait que la respiration est le signe de la vie.
Un être animé. Ce terme, qui est le même que celui qui a été appliqué aux animaux (1.20
), est ordinairement traduit par âme vivante. C'est ainsi que l'ont rendu les LXX, d'après lesquels cite saint Paul1Corinthiens 15.45
.
Il nous a paru que l'idée était mieux rendue par l'expression être animé. C'est l'origine divine de ce souffle de vie dont elle est animée, qui fait que l'âme humaine possède en elle un organe pour remonter à Dieu et communiquer avec lui, comme elle communique avec le monde extérieur par le corps. Cet organe supérieur de l'âme, en tant que distinct de celle-ci, se nomme l'esprit.
Sur l'origine, l'état primitif et l'unité du genre humain, voir l'appendice I, à la fin du chapitre. - 2.8 8-14. Le paradis.
La position du premier homme, dénué du secours de parents humains, rendait nécessaire l'existence d'un milieu approprié à sa faiblesse et à son inexpérience. Dieu y pourvoit en plantant un jardin propre à subvenir à ses premiers besoins.
Il en est du terme de planter comme de ceux de former, de souffler, qui expriment sous une forme figurée des actions divines incompréhensibles pour nous.
Un jardin. Le mot hébreu gan désigne un endroit entouré d'une clôture; il se retrouve dans toutes les langues sémitiques pour désigner les jardins et le parc environnant un palais.
Les LXX l'ont traduit par un mot grec, paradeisos d'où est venu notre mot paradis; ce mot est la reproduction du mot persan païri-daéza, qui signifie un lieu protégé par un rempart. Ce mot a passé dans la langue hébraïque postérieure sous la forme de pardés.
En Eden. La préposition en prouve qu'Eden désigne toute la contrée au sein de laquelle se trouvait le jardin. Comme nom commun, ce mot signifie délices. Est-ce ce nom commun qui, en raison de son sens, est devenu le nom propre du pays où était situé le paradis, ou bien est-ce le nom propre de ce pays, emprunté primitivement à une langue autre que l'hébreu, qui a pris dans celle-ci le sens de délices?
On peut invoquer en faveur de cette seconde opinion le fait qu'il existe dans la langue assyro-babylonienne un mot tout semblable, édin ou édinou qui signifie plaine. Le nom d'Eden se retrouve ailleurs, mais avec d'autres voyelles. ComparezEsaïe 37.12; Ezéchiel 27.23; Amos 1.5
, notes.
A l'orient. On pourrait appliquer cette expression au rapport du jardin à la contrée d'Eden, dans la partie orientale de laquelle il aurait été situé mais il est plus naturel de l'expliquer par le point de vue du rédacteur, pour qui Eden et le jardin étaient situés bien loin à l'orient.
Remarquons que, tandis que la plupart des autres peuples anciens se prétendent autochtones et placent l'origine de la race humaine sur leur propre territoire, les Hébreux se représentent le siège primitif de l'humanité dans une contrée autre que celle qu'ils habitent. Ce fait nous prouve l'ancienneté et la pureté des traditions sur lesquelles repose notre récit.
Il mit là l'homme. Ces mots nous donnent l'idée de la sollicitude paternelle de Dieu envers l'homme, sa créature faible et privilégiée. - 2.9 Dieu pourvoit aux besoins et même aux jouissances de l'homme encore enfant.
L'arbre de vie. On voit plus tard que c'était l'arbre dont les fruits devaient préserver l'homme de la dissolution à laquelle était naturellement exposé son corps formé de la poussière.
Est-ce là un simple symbole, destiné à représenter la puissance vivifiante de Dieu qui devait transformer le corps terrestre de l'homme en corps spirituel et immortel, ou bien devons-nous supposer que cette action vivifiante était réellement attachée à l'usage du fruit de cet arbre? Voir à3.22
.
Au milieu du jardin. Cette position centrale paraît correspondre à l'importance de cet arbre.
La tradition de l'arbre de vie se retrouve chez tous les peuples de l'Orient. Chez les Hindous, il est situé au sommet d'une montagne et produit le soma, fruit dont se nourrissent les dieux et qui donne la vie aux hommes; c'est comme un intermédiaire entre le ciel et la terre.
Les traditions iraniennes parlent de même d'un arbre dont les rameaux écrasés fournissent le breuvage qu'on offrait en libation aux dieux et que l'on identifiait avec le breuvage céleste de vie et d'immortalité.
Chez les Assyriens et les Babyloniens, l'image de cet arbre se rencontre très fréquemment; il est probable que c'était primitivement un pin ou un cyprès; tantôt il est représenté comme gardé par des génies protecteurs (figure 1); tantôt des prêtres se tiennent de chaque côté dans l'attitude de l'adoration; quelquefois, comme sur le sceau du roi Sanchérib (figure 2), ce sont (probablement) le roi et la reine qui se tiennent de chaque côté de l'arbre, prêts à cueillir ses fruits.
Ce qui prouve son identité avec l'arbre de vie, c'est que ce symbole se trouve souvent représenté sur des tombeaux chaldéens.
L'arbre de la connaissance. Il ressort de3.3
que cet arbre était voisin du précédent.
Il ne faudrait pas croire que son fruit fût un poison qui devait causer la mort; car la connaissance du bien était attachée à cet arbre aussi bien que celle du mal, et, dans l'intuition du récit, la mort provient bien plutôt de la privation de l'arbre de vie.
Nous pensons donc que ce nom lui est donné en raison de l'effet qui devait nécessairement résulter de la défense faite à l'égard de son fruit. Si l'homme obéissait, il apprenait à connaître le bien par expérience et le mal par la vue du danger auquel il avait échappé, de même que du haut d'une cime on mesure la profondeur de l'abîme où l'on aurait pu tomber; s'il désobéissait au contraire, il apprenait à connaître le mal par expérience et le bien comme un bonheur perdu, ainsi que du fond de l'abîme on mesure du regard la hauteur de la cime à laquelle on devait parvenir.
L'arbre de la connaissance ne se retrouve nulle part dans les traditions des peuples anciens, sauf peut-être dans une figure babylonienne qui représente un homme et une femme assis de chaque côté d'un arbre. Ils tendent la main vers ses fruits et un serpent se tient debout sur sa queue derrière la femme. Cependant ce peut n'être là que l'une des nombreuses représentations de l'arbre de vie; et le serpent pourrait être l'emblème d'une divinité, comme le capricorne qui, sur le sceau de Sanchérib, se tient derrière la reine. (figure 3) - 2.10 Un fleuve sortait d'Eden. Comme il ne pleuvait pas sur la terre où était situé le jardin, une irrigation était nécessaire elle était due à un fleuve qui sortait d'Eden et entrait dans le jardin, pour lequel il était ce que le Nil est pour l'Egypte.
De là il se partageait et devenait... Le sens naturel de ces mots est que le fleuve, après avoir traversé le jardin, se divisait en quatre branches qui allaient arroser les contrées désignées ensuite.
Quatre fleuves, littéralement quatre têtes. Nous croyons que cette expression ne peut désigner que quatre branches dans lesquelles se partageait le fleuve principal. C'est dans ce sens qu'est appliqué le mot tête dans les inscriptions assyriennes, où le mot resch-nari (en hébreu, rosch-nahar, tête du fleuve) désigne le point où un canal se sépare du fleuve qui l'alimente.
On a essayé d'appliquer ce nom à quatre rivières ou affluents qui auraient formé le fleuve avant son entrée dans le paradis et d'entendre l'expression : sortait d'Eden, dans ce sens : sortait de la partie d'Eden située au-dessous du paradis pour entrer dans la mer. C'est faire violence aux termes du texte. - 2.11 Pischon. Ce nom de fleuve, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs, ni dans la Bible, ni chez les peuples anciens, est un mot hébreu signifiant : celui qui coule largement. L'expression : qui entoure le pays, peut signifier simplement : qui embrasse l'un de ses côtés. Comparez
Deutéronome 11.4
Havila. Ce nom, dont la signification étymologique est pays des sables ou des dunes, désigne proprement dans la Bible l'un des fils de Joktan, descendant de Sem (Genèse 10.29
). Or, on sait que les Joktanides étaient l'une des trois grandes souches de la race arabe (Kéturiens, Ismaélites et Joktanides). C'est donc en Arabie qu'il faut chercher le pays habité par cette tribu.
Ce résultat est confirmé parGenèse 25.18
et1Samuel 15.17
, textes d'après lesquels Havila ne peut guère être que la contrée de l'Arabie voisine du golfe Persique et de la Mésopotamie, et à laquelle convient le sens étymologique de ce nom.
Il est aussi parléGenèse 10.7
d'un Havila habité par des Cuschites, descendants de Cham. Comme les tribus cuschites mentionnées dans ce passage se trouvent presque toutes sur la côte arabique du golfe Persique, il est probable que les deux Havila ne sont qu'un seul et même pays où s'étaient mélangées les deux races.
L'or. L'article signifie que c'était de ce pays que les Israélites tiraient ordinairement leur or, et cette circonstance confirme l'application du nom de Havila à la contrée d'Arabie voisine du golfe Persique et par conséquent du pays d'Ophir, d'où Salomon tirait ce métal.
Pour le rapprochement de Havila et d'Ophir, voirGenèse 10.29
, et pour l'or d'Ophir,1Rois 9.28; 10.11; 22.49
, etc. - 2.12 L'or de cette terre-là est bon. On sait par plusieurs passages que l'or d'Ophir était préféré à tout autre :
Job 28.16; Psaumes 45.10; Esaïe 13.12
.
Le bdellium. L'historien Josèphe entend par là une gomme résineuse, odoriférante et très précieuse, qui est appelée en grec bdolkos et qui se trouvait, d'après Pline, en Arabie, en Inde, en Médie et en Babylonie. C'est le sens aujourd'hui généralement admis.
Cependant comme, d'a prèsExode 16.14
, la manne était de couleur blanche et que,Nombres 11.7
elle est comparée au bdellium qui, d'après Pline, doit avoir été de couleur brune, plusieurs savants ont pensé qu'il s'agissait plutôt des perles, qu'on pêche dans le golfe Persique.
Pierre de schoham. Pierre précieuse; selon les uns le béryl, de couleur verte; selon les autres, la pierre d'onyx, espèce d'agate présentant des couches de diverses couleurs. On a retrouvé dans les inscriptions assyriennes un mot analogue, samou ou samtou, qui désigne une pierre précieuse probablement d un brun clair portée comme ornement par les rois.
C'était sur deux pierres de schoham posées sur les épaules du grand sacrificateur qu'étaient écrits les noms des douze tribus d'Israël. - 2.13 Guihon. Ce nom, qui vient d'un mot hébreu signifiant jaillir, répond au nom arabe Dschaihoun, que les Arabes et les Persans appliquent à plusieurs fleuves, par exemple au Gange (Inde), à l'Oxus (Turkestan), au Pirame (Cilicie); les LXX l'appliquent au Nil dans la traduction de
Jérémie 2.18
. Une source près de Jérusalem portait aussi ce nom (1Rois 1.33; 2Chroniques 32.30
).
La terre de Cusch. Ce nom s'applique le plus ordinairement dans l'Ancien Testament à l'Abyssinie et à la Nubie, que traverse le Nil avant de descendre en Egypte. Mais il parait qu'originairement le peuple des Cuschites habitait les contrées au nord du golfe Persique.
Nous avons déjà rappelé le fait que les noms de la plupart des fils de Cusch mentionnésGenèse 10.7
se retrouvent sur la côte arabique de ce golfe. Nous savons également que Nemrod, le fondateur de l'empire babylonien, était fils de Cusch (Genèse 10.8
).
Ces données scripturaires sont confirmées par les inscriptions babyloniennes, qui donnent le nom de Caschou à l'une des tribus primitives de la Babylonie et finissent par l'étendre à toute la population. C'est bien probablement de ce nom qu'est venu le mot hébreu Casdim (Chaldéens) qui désigne les habitants de la Mésopotamie méridionale. - 2.14 Hiddékel. Ce nom est le même que le nom assyrien Diglat ou Hidiglat (flèche), qui dans cette langue désigne le Tigre. Il est ainsi nommé à cause de la rapidité de son cours. Ce fleuve est encore mentionné
Daniel 10.4
. Il prend sa source dans les montagnes d'Arménie, traverse du Nord au Sud la Mésopotamie septentrionale, se rapproche beaucoup de l'Euphrate au-dessus de Babylone et enfin se confond avec lui peu avant son embouchure dans le golfe Persique; leur cours commun jusqu'à la mer se nomme Schat-el-Arab.
A l'orient d'Assur. Il semble au premier abord que cette détermination n'est pas exacte, puisque l'Assyrie s'étendait sur les deux rives du Tigre. Mais il est probable que primitivement le pays qui portait ce nom ne s'étendait pas au-delà du Tigre, car la ville d'Assur, l'ancienne capitale, était située sur la rive occidentale du fleuve.
L'Euphrate le plus grand fleuve de l'Asie occidentale, venant, comme le Tigre, de l'Arménie; il arrose toute la Mésopotamie et se jette, réuni au Tigre, dans le golfe Persique. Son nom est en hébreu Phrath; en assyrien-babylonien Purat, c'est-à-dire le fleuve; en persan Ufratu; de là est venu notre mot Euphrate. Aucun détail n'est donné sur ce dernier fleuve, parce qu'il était suffisamment connu des Hébreux.
Sur la situation du paradis, voir l'appendice II, à la fin du chapitre. - 2.15 15-17.L'homme dans le paradis.
15. Ce verset se rattache directement au verset 8, dont il développe les derniers mots.
L'Eternel Dieu prit l'homme. C'est ici à proprement parler le commencement de l'histoire de l'humanité.
Pour le cultiver. Dès l'abord l'homme est appelé au travail, car le travail est la condition de tout développement, et Dieu veut pour l'homme le progrès. Mais ce travail ne devait rien avoir de servile; c'était celui du jardinier au milieu de ses plantations.
Pour le garder. On a pensé que cela signifiait: pour le préserver des bêtes féroces; mais quelle arme Adam aurait-il eue contre elles, et comment aurait-il gardé le jardin de tous les côtés à la fois? Il s'agit donc de le garder contre un ennemi d'une toute autre nature, qui aspire à s'en rendre maître et qui ne tardera pas à paraître.
Cette première tâche d'Adam, qui ne se rapportait qu'au jardin, laisse entrevoir celle de l'humanité à l'égard de la terre entière; faire du monde un Eden, et de cet Eden le théâtre du règne de Dieu, voilà la tâche qu'Adam était appelé à inaugurer.
Ce récit expose l'origine des dieux en même temps que celle du monde. Nous voyons naître d'abord les forces naturelles divinisées, puis de ces dieux primitifs naissent à leur tour les dieux de l'Olympe adorés par la Grèce. La terre et les hommes ne jouent qu'un rôle secondaire.
Chez les Etrusques, d'après un rapport de Suidas, on pensait que Dieu avait créé le monde en six périodes de mille ans chacune : dans la première, le ciel et la terre; dans la seconde, le firmament; dans la troisième, la mer et toutes les eaux de la terre; dans la quatrième, le soleil, la lune et les étoiles; dans la cinquième : les animaux de l'air, de l'eau et de la terre; dans la sixième, les hommes. Les six mille ans que le monde doit subsister encore sont consacrés au développement de la race humaine.
On remarque ici des analogies frappantes avec le premier chapitre de la Genèse; mais Suidas, qui vivait au dixième siècle après J-C, a pu facilement modifier les anciennes traditions étrusques sous une influence juive ou chrétienne.
Des conceptions des peuples aryens, passons à celles des peuples chamitiques.
Les Egyptiens croyaient à l'existence d'une matière éternelle, les eaux primitives, comme principe universel. Le dieu Atum existait seul à côté de ce principe chaotique; il créa le firmament, réservoir des eaux célestes. Des eaux inférieures sortit un œuf, d'où procéda sous la forme d'un petit enfant le dieu Ra (dieu du soleil). Celui-ci amena dans le monde la lumière et la vie; c'est de lui que furent formés tous les autres dieux, puis par sa chaleur il fit naître de la terre les animaux de l'air, de la terre et de l'eau.
Nous retrouvons ici, comme chez les Hindous, l'existence éternelle de la matière à côté de l'esprit et l'explication de la naissance des dieux en même temps que de celle du monde. Seulement on est frappé de voir la matière dont ont été formés les astres désignée par le nom d'eaux célestes.
Les traditions des Phéniciens sur le sujet qui nous occupe se sont fixées sous des formes diverses; l'une des plus anciennes est celle qui nous a été conservée par leur écrivain Sanchoniaton qui, selon toute probabilité, vivait vers le dixième siècle avant J-C D'après cette tradition, les Phéniciens se représentaient deux principes premiers, éternels et illimités, l'esprit ou le souffle et le sombre chaos (Bahou, le Bohou des Hébreux). De leur union naquit la matière animée, une boue renfermant les semences de toutes choses. Celle-ci prit la forme d'un œuf qui se fendit de manière à former le ciel et la terre. Dans le ciel d'abord, la matière première engendra le soleil, la lune, les étoiles et les constellations, qui devinrent bientôt des êtres conscients et prirent le nom de gardiens du ciel. A la suite l'air mis en mouvement et la terre réchauffée par l'action du soleil donnèrent naissance aux vents, aux nuages, aux pluies abondantes d'eaux célestes, au tonnerre et aux éclairs. Les éclats du tonnerre réveillèrent les êtres animés mâles et femelles dont les germes se trouvaient dans le sol et dans la mer.
A côté d'une tendance dualiste et émanatiste bien caractérisée, on reconnaît dans cette conception quelques traits qui rappellent le tableau de la Genèse.
Mais de toutes ces conceptions des peuples anciens, c'est celle des Chaldéens qui a le plus de titres à notre attention; car les Chaldéens, comme les Israélites, appartenaient à la race sémitique, et c'est même de leur sein qu'est sorti le père de la famille élue. Nous en avons une première recension bien imparfaite dans quelques fragments de Bérose, historien chaldéen de la fin du quatrième siècle avant J-C D'après lui, l'univers était primitivement une masse liquide et ténébreuse, habitée par des êtres monstrueux sur lesquels dominait une femme, Homorka, en chaldéen Thalatt, la Thalassa (mer) des Grecs. A un moment donné, Bel, le dieu suprême, intervint et coupa la femme en deux parties, dont il forma le ciel et la terre, tandis que les monstres primitifs disparaissaient devant la lumière, qu'ils ne pouvaient supporter. Il fit ensuite le soleil, la lune et les cinq planètes, puis voyant le sol inhabité et cependant fertile, il se fit couper la tète par les dieux inférieurs qui, de son sang mêlé à la terre, formèrent les hommes et les animaux capables de supporter la lumière.
Pendant longtemps on n'a connu la tradition chaldéenne que sous cette forme, mais des découvertes récentes ont jeté un jour tout nouveau sur ce sujet. Il y a quelques années, on a retrouvé dans les ruines de Ninive toute une bibliothèque ayant appartenu au roi Assurbanipal, le Sardanapale des Grecs (670 environ avant J-C). Parmi ces dix mille briques couvertes d'inscriptions cunéiformes se trouvaient quelques tablettes racontant la création; or ces tablettes ne sont que la copie d'une rédaction plus ancienne faite à Babylone et que les savants croient pouvoir faire remonter à une époque contemporaine d'Abraham. Trois seulement d'entre elles sont assez bien conservées pour qu'on puisse en comprendre le sens : ce sont la première, la cinquième et probablement la septième. Voici les passages essentiels des morceaux qui ont pu être déchiffrés.
Première tablette : Au temps où en-haut le ciel n'annonçait pas encore et où en-bas la terre ne nommait pas encore un nom, car l'abîme sans limites fut leur premier générateur et la mer agitée celle qui enfanta leur ensemble, alors leurs eaux s'embrassèrent et s'unirent. Mais l'obscurité n'était pas encore enlevée; aucun rejeton n'avait poussé. Au temps où aucun des dieux n'avait encore surgi, où ils n'étaient pas encore désignés par un nom et n'avaient pas encore fixé les destinées, alors les grands dieux furent formés; les dieux Lachmou et Lachamou apparurent et grandirent...; puis furent formés les dieux Sar et Kisar. Les jours s'étendirent...
Cinquième tablette, correspondant au quatrième jour de la Genèse hébraïque : Il arrangea magnifiquement les demeures des grands dieux (soleil et planètes); il fit également apparaître les étoiles. Il régla l'année et institua pour elle les décades; il assigna trois étoiles à chaque mois (sans doute une pour chaque décade). Il détermina les mansions des planètes... Il fit briller Nannar (la lune) pour régner sur la nuit.
Septième (?) tablette : Quand les dieux tous ensemble créèrent... ils formèrent excellemment les arbres puissants, ils firent surgir des êtres vivants..., le bétail des champs, les grands animaux des champs et les reptiles des champs... Le dieu à l'œil clairvoyant les associa en un couple... L'ensemble des bêtes rampantes se mit en mouvement.
C'est évidemment ce dernier récit qui présente les analogies les plus frappantes avec le tableau de la Genèse biblique; chaque lecteur les aura remarquées sans peine. Mais les différences qui les distinguent n'en sont que plus manifestes: dans le récit chaldéen, le principe de toutes choses est la matière éternelle; elle est le principe de l'existence même des dieux, qui en naissent spontanément par paires; après cela il est naturel que le polythéisme le plus complet domine tout le récit.
Après cette revue, la question qui se pose quant au récit de la Genèse biblique est de savoir s'il est simplement le produit de l'observation et de la réflexion humaines, ou s'il est dû à une révélation divine.
On allègue en faveur de la première explication, d'abord, les erreurs que l'on croit trouver dans ce récit, puis la corrélation réfléchie qui paraît exister entre les deux parties de la semaine créatrice (voir notes sur
1.14-19
). Mais, comme nous l'avons vu, il n'y aurait d'erreur formelle que si l'auteur prétendait nous donner un cours scientifique de géologie et de paléontologie; au lieu de cela, ce ne sont que les phases saillantes qui ont trouvé place dans ce tableau. A ce point de vue, le récit nous paraît inattaquable. La correspondance entre la première et la seconde moitié de la semaine n'est pas un argument valable contre la vérité his
torique du récit, puisqu'elle peut être l'expression du plan réellement suivi dans l'œuvre elle-même. Il nous paraît d'autre part que la grandeur et la fermeté de l'intuition monothéiste qui pénètre tout ce récit lui impriment le caractère d'une révélation divine. Il suffit pour le sentir de le comparer avec les légendes analogues des autres peuples que nous venons d'exposer.
Aucun lecteur moderne ne pourrait prendre au sérieux les fantasmagories mythiques dont elles sont remplies, tandis que le récit de la Genèse laisse chez tout lecteur, laïque ou savant, une impression d'admiration et de respect. Il repose évidemment sur la même révélation monothéiste qui est à la base de toute l'histoire israélite. Aux trois traits particuliers que nous avons déjà fait ressortir (Dieu a tout créé, il a tout créé conformément à sa volonté, il a tout créé en vue de l'homme) nous ajoutons encore l'institution divine du sabbat.
Faut-il en rester là, et n'appliquer l'action révélatrice qu'aux vérités religieuses, sans l'étendre au cadre extérieur du récit? C'est là l'opinion qui parait devenir aujourd'hui de plus en plus dominante.
Cependant nous nous demandons si les vérités religieuses contenues dans ce tableau ont pu être révélées d'une manière purement abstraite et si, pour pénétrer dans la conscience de ceux à qui elles étaient communiquées, elles n'ont pas dû revêtir une forme plastique et saisissable précisément telle que celle que nous trouvons dans ce récit.
Puis nous doutons qu'un auteur animé d'un sentiment d'adoration aussi profond se fût permis d'attribuer à Dieu un rôle de sa propre invention dans une scène de nature historique.
De plus, le ton d'autorité, avec lequel il raconte chaque ordre divin et son résultat, nous parait impliquer une certitude dont nous ne pouvons nous rendre compte si tout ce récit n'est qu'une simple supposition de sa part.
Ajoutons que la supériorité de notre récit sur les légendes des peuples anciens ne porte pas seulement sur le côté religieux, mais aussi sur les détails extérieurs de la narration. Le tableau de la Genèse est le seul qui ait été pris en considération par les hommes de science et qui puisse sérieusement affronter l'examen; nous rappelons seulement ici l'apparition de la lumière et de la végétation avant celle du soleil, faits auxquels la science rend hommage à cette heure. Ces faits nous paraissent conduire à faire porter la communication divine sur la totalité du tableau.
Si nous nous représentons un père au courant de toutes les découvertes scientifiques actuelles et cherchant à les résumer pour son enfant dans le but de conduire son âme à l'adoration, nous ne nous figurerons pas son récit très différent de celui que nous venons d'étudier.
Quand et comment a pu avoir lieu cette communication d'en-haut? En cherchant à répondre à cette question, nous déclarons dès l'abord que nous sommes ici en face d'un fait sur lequel nous ne pouvons présenter que des suppositions.
Plusieurs pensent que la révélation contenue dans ce chapitre a été accordée à Adam lorsque Dieu s'approchait de lui et s'entretenait avec lui dans le paradis comme un père avec son enfant. Cette supposition s'accorderait bien avec le caractère simple et sobre du récit. On a objecté qu'Adam, au premier moment de son existence, était trop peu développé pour se poser des questions de ce genre. Nous ne sommes pas en état d'en juger. Quoi qu'il en soit, si l'on nie que Dieu se soit révélé à Adam, il faut nier la réalité du commandement qui a été l'occasion de la chute, ainsi que celle des sentences prononcées à la suite de la désobéissance.
Du reste, lorsque plus tard Dieu se communique à Noé et à Abraham, c'est comme un être déjà connu, ce qui suppose une révélation antérieure et primitive. Si l'on croit qu'une telle révélation ne pouvait répondre qu'aux besoins d'une humanité déjà plus développée rien n'empêche de penser que l'un des patriarches entre Adam et le déluge aurait été jugé digne d'une pareille communication, celui en particulier qui vécut avec Dieu dans une intime communion et qui fut élevé de cette vie dans celle du ciel sans passer par la mort.
Cette révélation, accordée soit à Adam, soit à l'un des patriarches antérieurs au déluge, aura été transmise par les fils de Noé à tous les peuples, chez qui elle s'est conservée partiellement, mais troublée par l'influence du polythéisme.
Telle serait l'origine des éléments de vérité qui se rencontrent dans les récits que nous avons cités. Cette tradition, conservée oralement dans la famille de Sem et d'Abraham, aura pu se charger, en passant de bouche en bouche, d'éléments humains, quoique dans une moindre mesure que chez les peuples polythéistes, et Dieu, au moment où il accordait à Moïse la grande révélation du Sinaï, qui devait servir de base à l'histoire de son peuple, lui aura rendu la connaissance de l'œuvre créatrice dans sa pureté. Peut-être aura-t-il employé pour cela le mode de la vision prophétique, qui peut s'appliquer au passé comme à l'avenir.
Une révélation de ce genre se comprend mieux en effet sous la forme de tableaux successifs que sous celle d'une inspiration purement spirituelle. S'il en est ainsi, ce serait Moïse qui le premier aurait mis ce récit par écrit. Dans tous les cas, ce chapitre a un caractère tout spécial, et l'on peut aisément penser qu'il existait comme document particulier avant d'être placé en tête d'une histoire plus générale.
II) 2.5 à 3.24. Le séjour dans le paradis et la chute
Le morceau dont nous abordons maintenant l'étude est l'un des plus importants de l'Ecriture sainte. De la manière dont nous le comprenons résulte pour une grande part l'idée que nous nous faisons de plusieurs des points qui sont à la base de la doctrine chrétienne, l'origine et la nature du péché, le degré de sa culpabilité et la rédemption qu'il nécessite.
Bon nombre de philosophes et même de théologiens ont prétendu que le tableau de l'état primitif de l'humanité, tel qu'il ressort de notre récit, est incompatible avec les faits et les lois de l'histoire; ils n'y ont vu qu'un mythe analogue à ceux des autres peuples anciens, un essai tout humain d'expliquer l'introduction dans le monde du mal physique et moral. Selon eux, le développement de l'humanité suit une marche constamment ascendante de l'état d'animalité au degré le plus élevé de la religion et de la civilisation, et ce que la Bible présente comme une chute ne peut avoir été qu'un progrès. Nous aurons à examiner si les faits confirment cette théorie et si l'état barbare et fétichiste des peuples sauvages, que l'on identifie avec l'état primitif de l'humanité, n'est pas réellement, comme le fait comprendre l'Ecriture, le résultat d'une décadence, de la perte d'un état primitif tel que celui que décrit le récit que nous allons étudier.
Le séjour dans le paradis (2.5-25)
Avec ce morceau nous entrons dans le domaine de la tradition; car l'homme est dès ce moment témoin et acteur d'une partie des faits racontés. L'histoire commence et se superpose à la nature, maintenant achevée; voilà pourquoi le récit de la création de l'homme est repris à nouveau.
Au chapitre 1, l'homme avait été considéré comme appartenant à l'ensemble de la nature dont il forme le couronnement; ici il apparaît comme sujet de l'histoire, dans laquelle sa propre activité se combine incessamment avec l'action divine. Aussi le fait de sa création n'avait-il été raconté que sommairement au chapitre 1, tandis qu'il est maintenant repris en détail, soit quant à la formation de l'homme lui-même, soit quant à celle de la femme; car c'est de cette distinction des sexes que dépend le développement de la race et par conséquent celui de l'histoire.
Tout semble prouver que le récit qui va suivre a été emprunté à une autre source que le précédent; le terme d'Elohim pour désigner Dieu fait place à celui de Jéhova (sur l'expression Jéhova-Elohim, voir précédemment); le récit prend un caractère moins solennel et plus simplement narratif et les mêmes idées sont exprimées par d'autres expressions et d'autres tournures de phrase.
On peut donc se demander si son contenu n'est point parallèle à celui du chapitre 1, en d'autres termes si nous n'avons pas ici un second récit du fait de la création. S'il en était ainsi, il faudrait reconnaître une contradiction flagrante entre les deux narrations : là, une création graduée qui va des plantes aux animaux et des animaux à l'homme; ici, absence totale de plantes avant l'homme, et la création des végétaux et des animaux succédant à celle de l'homme. Mais si c'est bien là le sens de ces deux récits, comment s'expliquer le procédé du rédacteur de la Genèse, qui les reproduit successivement tous les deux malgré cette contradiction qu'il ne pouvait manquer de discerner aussi b ien que nous ?
Si nous ne voulons pas faire une injure gratuite à son intelligence, nous devons supposer qu'il entrevoyait une solution de cette contradiction apparente, et nous ne serons que justes en la cherchant.
Elle ne nous parait pas si difficile à trouver : le chapitre 1 avait en vue le monde dans son ensemble; le chapitre 2 s'occupe spécialement de l'homme et nous place par conséquent dans la contrée particulière où il habita dès le commencement et où se trouvait le jardin appelé paradis. Il nous fait connaître l'état des choses tel qu'il existait au moment et dans le lieu où l'homme ouvrit pour la première fois les yeux à la lumière : c'était une contrée privée de végétation, avec un ciel sans nuages et sans pluie; seulement une vapeur répandue sur la terre humectait le sol. Le paradis seul, un jardin rempli d'arbres, et arrosé par un fleuve, faisait exception.
Tel fut le milieu dans lequel l'homme arriva à l'existence et prit connaissance de lui-même et du monde. C'est le souvenir qu'il a transmis à ses descendants par une tradition dont nous avons ici la rédaction.
S'il en est ainsi, ce récit nous place au sixième jour du chapitre 1, immédiatement avant la création de l'homme; et nous devons supposer que le document d'où il a été tiré possédait aussi un récit de la création parallèle à celui du chapitre 1, mais que le rédacteur de la Genèse aura supprimé pour ne pas faire double emploi, tout en en rappelant dans ce qui suit quelques traits.
Il est bien évident, en effet, que la narration ne pouvait commencer dans ce récit par notre verset 5. Pour la création des animaux, voir au verset 19.